Parmi les Oblats qui se sont illustrés, en
Colombie-Britannique, comme missionnaires des Amérindiens, on ne peut oublier
les noms de Paul Durieu, Jean-Marie Le Jacq, Georges Blanchet, Léon Fouquet et
Casimir Chirouse. Le père Claude Bellot, o.m.i, qui a passé trente-six années
de sa vie dans ces missions, est moins connu mais non moins méritant. Né en
France, (Haute Loire) en 1874, il arrive dans l’île Victoria en 1901 et
sillonne la plupart des missions de la région, ayant le bonheur de faire
connaître Dieu à ces «enfants des bois». D’une plume alerte, il
nous a laissé des récits captivants de ses rencontres avec les Amérindiens.
Voici, par exemple, les déboires d’un vieux qui cherche à se marier.
Nessait rend visite
au lac Babine
Ayant entendu dire que Mgr Augustin Dontenwill, o.m.i.,
évêque de New Westminster, était de passage au lac Babine, Nessait, âgé de
cinquante-cinq ans, avait franchi 250 kilomètres, à travers la forêt, pour voir
le «grand priant». Cet incroyant visitait pour la première fois une
mission catholique. Son étonnement fut à son comble lorsqu’il entra dans l’église
pour la prière commune. Tout était si propre en comparaison de sa maison et les
chants étaient si beaux! Puis, quand il entendit parler du Bon Dieu de la
«terre d’en haut» et de sa Mère du ciel, ce fut une révélation pour
cet homme qui n’avait jusqu’ici entendu parler que de peaux de castors, de
fusils et de chasse. Le même soir donc, son nom fut inscrit dans le registre
des catéchumènes. En moins d’une semaine, il savait parfaitement son
catéchisme, assez du moins pour recevoir le baptême.
Nessait désire se
marierDeux jours avant notre départ, ajoute le père Bellot,
Nessait vint me trouver. Il avait un air mystérieux. Après un moment de
silence, il me montra ses mocassins passablement usés. «Père, dit-il
enfin, vois comme je fais pitié. Je suis vieux… je voudrais bien me marier car
j’ai besoin de prendre une femme pour faire mes mocassins.» Je l’encourageais
de mon mieux et l’engageais de faire un choix parmi les «perles» de
l’endroit. Il en désigna une, laide à faire peur, ratatinée comme une pomme
sèche. Peut-être a-t-il raison, pensai-je en moi-même, si elle peut lui faire
des mocassins. Sur mon conseil donc, Nessait alla sonder les intentions de sa
future moitié. Il revint le soir même, hélas! avec une figure abattue.
Après un long silence, j’appris que l’élue de son cœur voulait bien se marier
avec lui pour avoir du thé, de la farine et de la viande de chevreuil, mais qu’elle
était incapable de faire des mocassins parce qu’elle ne voyait plus assez
clair, devenue presque aveugle! Naturellement, j’engageai le pauvre homme à
chercher ailleurs.
Il trouve enfin
Le lendemain, Nessait revint tout rayonnant. «Il va
avoir ses mocassins», pensais-je. En effet, il avait trouvé une femme
pour lui faire les chaussures tant désirées. Et qui donc? La même vieille qui,
hier encore, se disait aveugle, ni plus ni moins. Aujourd’hui, elle pouvait
voir un peu, un tout petit peu, juste assez pour faire une paire de mocassins.
La seule condition qu’elle mettait au mariage, était que Nessait fît durer ses
mocassins le plus longtemps possible, car elle ne voulait pas travailler trop
longtemps… Elle voulait bien mourir, mais de vieil âge seulement et non de
surmenage. Nessait promit tout pour ne rien tenir et eut sa vieille.
Morale de ce récit
«Autrefois, conclut le père Bellot, j’avais lu
quelque part que l’on demande quatre choses à une femme avant de se marier: que
la vertu habite dans son cœur, que la modestie brille sur son front, que la
douceur découle de ses lèvres et que le travail occupe ses mains. Nessait, lui,
m’a prouvé qu’une seule chose est nécessaire à une femme: savoir faire des
mocassins.»