«Quel est ton choix?»
Soupçonnant qu’il désirait parler de mariage, le père
Bellot rompt lui-même ce lourd silence: «As-tu réfléchi, Anatole, comme
je te l’avais demandé? Es-tu décidé à te marier?» «Peut-être bien,
père.» «Sur qui as-tu jeté les yeux?» «Sais pas,
dis-moi toi-même quelle femme je dois prendre.» Il ne manquait plus que
ça.. «Voyons, Anatole, lui répond le père, les filles à marier ne
manquent pas. Ainsi, pour n’en citer que quelques-unes, tu connais la jeune
Anastasie qui porte toujours un joli mouchoir sur la tête. Il est vrai qu’elle
louche, mais peu importe. Et Génie qui boite mais qui a une si belle pipe... et
Adélaïde... et Henriette, si jeune et déjà veuve...» Après toute cette
nomenclature, le père lui demande quel est son choix. «Sais pas... père,
décide toi-même à ma place.» Rien à faire, il est têtu. De guerre lasse,
l’Oblat l’engage à choisir Adélaïde, jeune fille sans malice, travailleuse mais
naïve et guère plus brillante que lui. «C’est bon, père, puisque tu le
dis... je crois qu’elle fera mon affaire. Demande-la donc pour moi!»
Jour des noces
«Au nom d’Anatole, j’avais donc demandé
Adélaïde, rapporte le père Bellot. La réponse étant favorable, on avait fixé le
jour du mariage. Le couple et les témoins se présentent à l’église. Le fiancé,
pour la première fois depuis longtemps, s’était lavé convenablement. Mais
misère! Quel costume pour un jour de noces. Il portait un pantalon tout
rapiécé. Par-dessus, une chemise crasseuse qui n’avait jamais été lavée depuis
sa sortie du magasin. Et c’était tout. La fiancée, un peu plus coquette, avait
un mouchoir neuf sur la tête. Mais quelle mine! On aurait pu croire qu’elle
allait à un enterrement.»
Le père pose donc les questions habituelles. Anatole s’en tira assez bien. «Et toi, Adélaïde, veux-tu prendre Anatole, ici présent, pour ton mari?» Pas de réponse. Il répète la question une seconde fois: «Sais pas, père.» «Comment, tu ne sais pas? Et que viens-tu faire ici, si tu ne sais pas?» Là-dessus, Anatole la pousse du coude et lui crie assez fort: «Dis donc oui, sans cela on ne va pas nous marier.» «Oui, oui, oui, je veux me marier puisque je te l’ai dit.» Le père eut toutes les peines du monde à tenir son sérieux en entendant ces trois «oui». Il inonda les conjoints d’eau bénite. Et voilà comment Anatole devint l’heureux mari d’Adélaïde. Sa richesse maintenant est en son vieux pantalon, sa chemise crasseuse, un fusil et... Adélaïde.
André DORVAL, OMI