Expérience pastorale avec les Sans-abri, en Corée
P. Vincenzo Bordo, O.M.I.
Directeur d’Anna’s House, Centre pour les Sans-abri
P. Vincenzo Bordo, OMI, est missionnaire en Corée depuis 20 ans. Il a été invite à faire un exposé à la Première Rencontre Intégrée de la Pastorale des gens de la rue, pour le Continent d’Asie et Océanie. La rencontre était organisée sous les auspices du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Itinérants, en collaboration avec le Bureau du Développement Humain des Conférences épiscopales des Evêques d’Asie. Elle s’est tenue à Bangkok, du 19 au 24 octobre 2010. (Note du traducteur : pour traduire ‘homeless’ j’utilise l’abréviation courante en France de SDF = Sans Domicile fixe)
Avant de commencer mon exposé, il est important de clarifier et de définir la personne sans domicile, de manière à avoir une base commune dans la compréhension de la question.
Je présuppose que la personne sans domicile pourrait se définir comme quelqu’un : « qui se trouve dans un état de pauvreté matérielle et non matérielle qui entraîne un inconfort évolutif, complexe et multiple » qui se manifeste dans l’absence d’un domicile fixe ; nous pouvons voir alors que les carences relationnelles – ensemble avec les carences économiques – peuvent, au même titre, définir et provoquer une vie de pauvreté, surtout chez ceux qui n’ont pas de domicile fixe. Ce point doit être mis à la base de toute la réflexion ultérieure.[i]
Je parlerai des personnes dans cette catégorie, me référant à une réalité complexe, liée non seulement à la pauvreté matérielle mais aussi spirituelle, morale et sociale qui provoque chez l’individu une détresse évolutive et complexe.
De plus, il faut mentionner que je parlerai des SDF en Asie, même si dans cette session beaucoup trouveront que cela ne correspond pas à votre expérience personnelle. De fait, la situation à laquelle les gens sont confrontés en Corée est très différente des situations que l’on peut trouver en Inde, aux Philippines, en Indonésie, au Sri Lanka ou en tout autre pays de ce vaste continent.[ii] Je peux dire cela après avoir passé 20 ans en Asie et avoir voyagé à travers ce continent. J’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres réalités pastorales qui se soucient des SDF : elles sont toutes différentes de ce que j’expérimente. Aussi, avant de commencer ma présentation, je dois faire quelques mises au point.
1) Je ne parlerai pas de la situation générale des SDF en Asie, mais uniquement de ma propre expérience pastorale comme prêtre catholique en Corée. (Je suis arrivé en ce pays en 1990.) Pour être précis, je parlerai des gens « vivant dans la rue » à Séoul, la capitale et dans la région voisine, Ghiong-Chi-Do. Cet espace représente, tout ensemble, 50% de la population de Corée.
2) Je n’ai pas de formation académique supérieure à propos des gens qui vivent dans la rue et les nouvelles pauvretés. Je n’ai qu’un diplôme de travailleur social, mais j’ai mûri, grâce à ma longue expérience sur le site. Ma contribution ne prétend pas être une théorie globale sur les SDF, mais une contribution personnelle et pastorale qui naît de l’écoute de ces gens, des conversations avec eux, de l’accueil fait et d’une vie vécue à leur côté, jour après jour.
Ces présupposés étant posés, je peux maintenant commencer à vous dire mon expérience. Je suis arrivé en Corée en 1990, portant en moi deux expériences/désirs : d’une part, un grand amour pour Jésus (je voulais apporter à tous la grande expérience d’amour que j’avais eue dans ma propre vie) ; et d’autre part, une grande passion pour les pauvres. J’étais venu chez les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée à cause du contenu de leur charisme, l’évangélisation des pauvres [la devise de la Congrégation reprend les paroles de Jésus : ‘il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres’. (Luc 4,18)]
Je ne savais pas comment vivre ce charisme dans la situation que je rencontrais. Déjà dans les années quatre-vingt-dix, la Corée était un pays riche, dynamique, industrialisé, où même les Coréens disaient qu’il n’y avait pas de pauvres. L’Eglise aussi était florissante, les conversions et les vocations étaient nombreuses. Les questions qui me tourmentait étaient : ‘qu’est-ce que cela veut dire apporter la bonne nouvelle de Jésus à ces gens ?’ et deuxièmement ‘ où sont les pauvres qui ont besoin d’être évangélisés en cette riche société ?’
Lentement mais sûrement, j’ai commencé à écouter les missionnaires, présents en Corée depuis des années. J’ai rencontré ainsi les Maryknolls, les Columbans, les MEP, la Consolata, les Clarétins, les Franciscains, les Conventuels et les Jésuites. Chaque rencontre était éclairante et m’ouvrait de nouveaux horizons. À la fin de ce pèlerinage, c’était clair pour moi qu’en Corée existent de nouveaux pauvres, les « pauvres invisibles », comme feu le Cardinal Stefano Kim les appelait, les amoindris et les exclus, les personnes âgées et abandonnées à elles-mêmes, les jeunes dans la rue, les anciens prisonniers, les handicapés, les travailleurs étrangers, les alcooliques, les malades mentaux, ignorés de la société ou faisant comme si. Avec l’aide de quelques prêtres, j’ai fini par choisir de m’établir à Seong-Nam, une ville dortoir d’un million d’habitants, dans la périphérie de Séoul, où chaque jour les gens vont travailler en ville.[iii]
C’est ainsi qu’en 1992, avec l’aide d’un prêtre coréen, Don Pietro Be, et de Sœur Mariengel, une sœur coréenne qui avait vu les besoins des pauvres dans la ville, j’ai commencé à me consacrer aux nouveaux pauvres et aux personnes abandonnées dans la ville de Seong-Nam.
Le commencement de mon travail pastoral auprès des pauvres
J’ai passé toute l’année 1992 avec Sœur Mariengel. Elle était engagée pastoralement dans le quartier le plus pauvre de la ville. Je l’accompagnais quand elle visitait les familles pauvres, quand elle aidait les personnes âgées seules et abandonnées, ainsi que les jeunes gens dans la rue et les handicapés. J’ai appris d’elle à me conduire dans cette nouvelle situation, dans la ville où j’avais décidé de m’établir, et à connaître la réalité sous l’angle de la nouvelle pauvreté.
La Cantine ‘Maison de Paix’
En 1993, aidé par la paroisse et le conseil pastoral, j’ai ouvert une cantine, appelée ‘Maison de paix’ pour les gens seuls et âgés et les pauvres en général, qui devaient se débrouiller tout seuls. Au commencement, nous n’offrions qu’un plat chaud à midi, mais le temps passant, nous avons commencé à organiser des cours d’alphabétisation – beaucoup ne savaient ni lire ni écrire – des cours de culture générale, d’hygiène et de santé, etc.
Le Patronage ‘Partage’ (1994)
Dans l’après midi, je visitais les pauvres et les familles dans le besoin, dans le quartier où je travaillais pastoralement. Petit à petit, en écoutant les parents, je me suis rendu compte que les jeunes du quartier avaient besoin d’une aide que l’école n’apportait pas. Beaucoup de ces familles se débattaient avec l’alcoolisme, les fugues, et une sérieuse pauvreté morale et économique. En 1994, aidé par 40 jeunes bénévoles, nous avons mis sur pied un petit patronage que nous avons appelé ‘partage’, pour les enfants pauvres du quartier. Il y avait environ 70 jeunes qui, après l’école, de 18h00 à 21h00, fréquentaient notre petit patronage. Nous avons commencé avec des classes de rattrapage, puis un ciné forum, le pingpong, le basketball, des leçons de guitare, la peinture et d’autres activités de détente. La beauté de tout ceci vient du fait que ce n’étaient que des bénévoles qui faisaient fonctionner le programme. Les moniteurs étaient principalement des étudiants universitaires qui offraient ces services joyeusement et avec enthousiasme à ces jeunes moins favorisés qu’eux. Le but de ces activités était de sortir les jeunes de la rue et de les aider à s’insérer dans l’école et la société.
Mon activité pastorale allait de la Cantine « La Maison de Paix », aux personnes âgées, aux SDF, la visite des familles marginalisées dans les environs de la ville et le patronage pour les jeunes défavorisés des environs.
Association de Bénévoles (1995)
Toujours plus immergé dans cette réalité de pauvreté, avec une meilleure connaissance de la ville, j’ai réalisé que, dans cette ville, il y avait divers groupes de bénévoles catholiques qui travaillaient déjà auprès des pauvres, mais ils travaillaient tous indépendamment des autres groupes sur le même territoire. L’idée germa alors de nous rencontrer une fois par mois, pour échanger nos expériences et coordonner notre travail, afin d’être plus efficaces.
Nous avons créé l’ “Association des Bénévoles catholiques pour les citoyens pauvres de Seong Nam”. C’était un réseau qui rassemblait 25 groupes catholiques, totalisant quelques 1500 bénévoles, travaillant en divers quartiers de la ville. Nous avons ressenti le besoin de ne pas seulement partager et coordonner notre travail, mais aussi de prier. Ainsi, une fois par mois, nous nous rencontrions pour une messe ensemble et pour une formation spirituelle que je conduisais. Le respect mutuel, la connaissance et l’amitié se sont développés ; nous avons alors senti le besoin de passer quelques jours d’amitié et de sérénité ensemble. Le premier dimanche de chaque mois, nous allions marcher dans les collines voisines, terminant la journée par la messe. L’année suivante, nous avons fait encore un nouveau pas ; nous avons décidé de développer notre formation professionnelle et humaine, en organisant des journées d’étude, trois jours en printemps et de nouveau trois jours en automne, avec des conférences données par des professeurs d’université, parmi les meilleurs experts en ce qui touche à la charité et au travail bénévole.
Tout ce travail pastoral de formation des bénévoles n’a pas ajouté quelque chose de très nouveau ; il a simplement rassemblé, coordonné et rendu conscient ce que les catholiques faisaient déjà en tant que citoyens ordinaires.
Anna’s House
En 1998, une très grande crise économique a frappé la Corée et tout le Sud-est asiatique: des millions de gens se sont soudain trouvés dans la rue, sans travail et sans sécurité sociale.
Je me suis interrogé sur ces événements dramatiques et j’ai décidé de consacrer mon travail pastoral à cette nouvelle urgence en Corée : je travaillerai pour les « gens de la rue ». J’ai confié à d’autres le petit patronage « Partage » pour les enfants difficiles et la cantine « Maison de Paix » pour les adultes pauvres. Je me suis donc immergé à fond dans ce nouveau phénomène, inconnu jusqu’alors, des SDF. A ce moment, ils me semblaient être les plus pauvres des plus abandonnés de la société coréenne.
Avec l’aide de beaucoup de laïcs, nous avons mis sur pied un cantine du soir, appelée Anna’s House ; c’était pour ceux qui vivaient dans la rue. Au début nous n’offrions que le repas du soir, mais par la suite, après avoir parlé avec eux et écouté leurs besoins, nous avons ouvert une petite clinique pour ceux qui avaient des problèmes de santé ; un bureau de placement pour ceux qui recherchaient du travail ; une permanence juridique pour ceux qui avaient des problèmes légaux. Nous avons ensuite distribué des habits. Nous les avons aussi aidés à prendre soin de leur personne : hygiène, douches, coiffure ; nous avons proposé une aide psychologique à ceux qui en avaient besoin, et en tout dernier, nous avons ouvert une petite ‘Ecole du soir’ pour ceux qui souhaitaient élargir leurs horizons, intellectuellement. Cela devait les aider à avoir plus d’estime d’eux-mêmes ; de fait la majorité de nos visiteurs n’avaient même pas fini l’école primaire ; ils avaient donc un complexe d’infériorité.
Petit à petit, Anna’s House a grandi. De la simple cantine du soir, pour les SDF, c’est devenu un centre qui aide les SDF à se récupérer, inspiré par une vision holistique, selon laquelle l’être humain n’est pas compartimenté, mais est une réalité complexe, intégrant l’esprit, l’intelligence et le corps. Nous devons donc l’approcher de façon globale, non seulement comme un estomac à remplir ou un corps à habiller. Nous devons être attentifs à cette situation d’ensemble et l’accueillir avec toutes ses limitations.[iv]
Abri pour les jeunes SDF (1999)
Entre 1994 et 1998, j’avais travaillé au patronage “Partage”, destiné aux jeunes gens pauvres de la ville. Travaillant maintenant avec les gens de la rue, leur rendant visite dans leurs voisinages, entrant en contact avec eux, j’ai fini par les rencontrer là où ils vivaient : dans la rue ; jeunes, sans domicile, complètement ignorés de la société coréenne : une situation totalement nouvelle et choquante pour la société coréenne. Ainsi donc, à l’intention de ces jeunes de la rue que j’ai rencontrés par hasard ou parce qu’ils sont venus manger à la cantine du soir, nous avons ouvert, en 1999, un abri pour les accueillir et leur donner les premiers soins, et leur proposer ensuite des programmes pour les aider humainement et psychologiquement.
Les adolescents SDF traversent les mêmes adversités que les SDF adultes. La plupart d’entre eux sont orphelins ou ont des familles problématiques. Ils ont été abandonnés par leurs parents ou ont subi la violence à la maison, elle ne peut être ignorée, ou bien ils ont des problèmes qui leur sont propres. De plus, ils sont plus facilement sujets aux crimes (p.ex : prostitution, violence, travail sous payé) et risquent de rester SDF toute leur vie.
Grandir dans une famille problématique affecte en négatif le bien-être émotionnel d’un enfant. Il faut souligner que parmi les SDF adolescents qui ont fréquenté Anna’s House, 90% venaient de famille problématiques, blessées par la pauvreté, le divorce, la mort précoce des parents, des enfants abusés ou victimes de violence familiale. Tous ces problèmes affectent la vie de ces enfants, les empêchant de grandir normalement et de mener une vie intégrée dans la société.
Nous avons essayé de les aider avec une méthode en trois étapes :
Première étape: “Soyons amis” c’est notre devise. Nous essayons d’accueillir ces jeunes à Anna’s House où ils viennent comme les autres SDF, pour trouver à manger. De façon simple et chaleureuse nous leur donnons à manger, des habits, une possibilité de prendre une douche, des soins médicaux, etc., tout, sans aucune demande de notre part. D’habitude, avant d’arriver chez-nous, ils ont subi déjà toutes sortes de mauvaises expériences dont ils sortent blessés ; ils sont donc pleins de méfiance. Nous avons un entretien avec chaque personne, pour comprendre leurs besoins et respecter leur décision.
Deuxième étape: Nous leur offrons un lieu sûr (abri) où, avec l’aide de deux employés et de 20 bénévoles, nous menons un programme quotidien. Ce programme les aide à cultiver l’estime de soi et à apprendre les possibilités de travail. Il y a aussi un cours d’éducation sexuelle et nous proposons aussi quelques classes de mise à niveau pour l’examen de passage afin de les inscrire dans les institutions d’éducation privées. Notre seul but c’est de leur permettre d’acquérir les capacités nécessaires pour un travail ou pour prendre quelques cours en classe.
Troisième étape: Un foyer. L’expérience des deux premières étapes du programme était assez libre; il n’y avait pas trop de règles. C’est comme un espace ouvert pour ces jeunes gens qui viennent de la rue et ne sont pas habitués à la vie de communauté.
Après un long discernement et préparation, ceux qui sont prêts sont invités à passer à la troisième étape ; vivre dans un foyer où ils doivent prendre des responsabilités et continuer leurs études ou leur travail.
Ainsi, en 2004, nous avons ouvert une maison appelée “Foyer Anna’s House” pour ces jeunes qui voulaient renouer avec les études. Une année plus tard, en 2005, nous avons ouvert un abri appelé “Eugenio’s House” pour les plus jeunes qui voulaient travailler. A la fin de l’année, notre programme pour ces jeunes se passait en trois abris:[v]
* Abri: “Benedetto’s House” pour les jeunes fugueurs qui étaient dans la rue et n’étaient pas capables de décider ce qu’ils veulent faire de leur vie (15 jeunes).
* Foyer: “Anna’s House” pour les jeunes qui vont en classe (7 jeunes).
* Abri: “Eugenio’s House” pour les jeunes orientés vers le travail (5 jeunes).
En essayant de résumer – davantage sous l’angle de l’expérience pastorale qu’académique – basé sur ma présence en Corée avec les pauvres pendant près de 18 ans, je pense pouvoir affirmer qu’il y a un instinct de survie chez ces gens :
1) Sauf rares exceptions, les SDF ne choisissent pas de vivre dans la rue. C’est une vie dure, pleine de souffrances et de dangers ; être SDF est une réalité conditionnée, déterminée par divers facteurs, souvent indépendants des individus. Souvent leur situation est liée à leur cercle familial : abandonnés des parents quand ils étaient très petits ; mort des deux parents ; extrême pauvreté de la famille ; alcoolisme de l’un des deux parents ou des deux (souvent à la suite de la perte du travail) ; divorces traumatisants. D’autres facteurs peuvent aussi les amener à vivre dans la rue : échec économique avec l’incapacité de recommencer, maladie physique, maladie mentale, problèmes de personnalité, expérience de prison, angoisse due au phénomène d’une urbanisation sans contrôle.
2) Je crois pouvoir dire aussi, à partir de mon expérience à Anna’s House, que les raisons profondes, basiques et communes doivent être trouvées dans l’enfance. Beaucoup de SDF actuels ont souffert de l’abandon dans leur enfance. Comme la psychologie l’enseigne, ceci provoque un manque d’estime de soi ; les êtres humains, depuis l’âge de 6 ou7 ans, si leurs parents ne les aiment pas, ne font pas attention à eux et ils ne reçoivent pas d’éducation, ils n’acquièrent pas un sens mûr d’estime de soi. Ceci entraîne de grandes difficultés pour établir des relations saines avec les autres et avec eux-mêmes. La majorité des SDF que j’ai rencontrés n’avaient pas fini l’école élémentaire, ils traînent avec eux un complexe d’infériorité, quand ils entrent en relations avec les autres. Par conséquent avec ce manque d’estime d’eux-mêmes, ce complexe d’infériorité, cette incapacité d’entrer en relations avec les autres sur un pied d’égalité, ces individus commencent à se distancer de la société. Ils sentent que la société les rejette, et par conséquent, la société les rejette effectivement parce qu’ils sont SDF.
3) De par mon expérience, je crois pouvoir décrire quatre grands types de SDF en Corée:
a) Les SDF qui vivent dans les abris.
Leurs caractéristiques.
Cette catégorie comprend principalement ces individus qui travaillent normalement et ont une famille normale. Tout d’un coup, ils rencontrent une crise économique catastrophique et imprévue (par ex. la crise de 1998 qui a frappé un millions de personnes, surtout dans l’extrême Orient, comme la Corée, Taïwan, Hong Kong, Thaïlande et Indonésie). Ils se retrouvent sans travail et par conséquent, ils perdent leur maison. Ces gens qui viennent d’une expérience « normale » se réfugient maintenant dans les abris, où on les aide à se réinsérer dans la force de travail ; lentement, la majorité réussit à se réintégrer dans la société.
Quelles réponses pouvons-nous proposer ?
Le Gouvernement coréen, se trouvant avec un million de chômeurs forcés de vivre dans la rue, a préparé une manière d’aider ces personnes.
i) 1999-2003: Dans la ville de Séoul, selon le Ministère de la Santé, cette aide comportait les éléments suivants:
* Trois centres d’écoute, ouverts 24h/24, pour tous ceux qui vivent dans la rue. On y informe les visiteurs sur tous les moyens d’aide. Ceux qui le voulaient étaient orientés vers un grand centre, la « House of Freedom”. (La maison de la liberté)
* “House of Freedom”: un grand bâtiment scolaire abandonné a été transformé en dortoir public pour des centaines de personnes; on leur donnait une place pour dormir, les repas, les douches, mais avant tout, les travailleurs sociaux les aidaient et les conseillaient. Après les avoir écoutés et avoir dialogué, les travailleurs sociaux essayaient d’orienter les clients de la façon la plus utile possible.
* L’étape suivante consistait à les introduire dans l’un des 120 abris que l’Etat avait mis sur pied pour les SDF. Ici le temps de séjour était plus long et il y avait la possibilité d’être inséré, dans une série de programmes de travail.
* L’Etat patronnait une série de “travaux utiles”: nettoyer les rues, tondre le gazon dans les parcs, etc. Il y avait la possibilité de travail dans l’un de ces programmes pour une période de 3 à 9 mois. Avec l’argent qu’ils gagnaient en faisant ces travaux utiles, ils revenaient à la maison et commençaient un nouveau travail et une nouvelle vie. Dans la période aiguë de la crise financière, des milliers et des milliers de gens “normaux”, avec une solide formation culturelle, psychologique et humaine, vivant en famille, se sont trouvés à l’improviste dans la rue ; ils ont bénéficié de cette aide et ont pu se réinsérer dans la société et dans leur propre famille.
ii) La période de 2004 à aujourd’hui a vu la restructuration des programmes d’aide aux SDF qui sont maintenant articulés comme suit:
* 11 “Centres d’écoute”.
* 28 cantines.
* 67 abris qui logent quelques 3875 SDF.
* 10 centres, appelés “The Little Room” – (La Chambrette) – qui offre aux pauvres et aux SDF une chambre pour y passer la nuit (6022 environ utilisent ce service).
b) Les “SDF chroniques” des gens qui ont vécu dans la rue pendant longtemps.
Leurs caractéristiques.
Les personnes qui appartiennent à ce groupe, selon le Ministère de la Santé, sont à 95% des hommes et 5% des femmes. La majorité sont des orphelins (71%) ou ont été abandonnés dans les toutes premières années ; presque tous viennent de situations d’extrême pauvreté. Normalement, le père ne travaillait pas à cause de l’alcool, la santé mentale, ou un faible sens des responsabilités et la mère était forcée de travailler pour entretenir la famille, et souvent, quand elle rentrait à la maison, elle était maltraitée ou battue. Dans cette situation dramatique, c’est souvent la mère qui s’est enfuie, et les enfants, de par la loi, restaient avec le père qui finissait par reprendre femme. La belle-mère traitait bien ses propres enfants mais maltraitait et frappait les enfants de son second mari. Ces enfants, exaspérés par la violence et la misère, se réfugient dans la rue. Ils abandonnent l’école, et vivant dans la rue, apprennent à survivre en mendiant, par la prostitution, le vol et d’autres expédients ; ainsi, dès le jeune âge, ils sont déjà les jeunes SDF.
Vivant dans la rue dès l’âge le plus tendre, ils accumulent les problèmes psychologiques, sociaux, mentaux aux plans émotionnels et de personnalité. Ils font partie de ceux qui manquent d’estime d’eux-mêmes, avec un fort complexe d’infériorité ; ils sont dans l’incapacité de finir l’école élémentaire et de lier des relations justes avec les autres. Démunis comme ils sont, ils tendent à se couper encore plus de la société qui exclut les personnes incapables de répondre à ses demandes.
Soixante quatre pour cent de ces gens vivent dans les stations du métro, dans les parcs, dans les salles d’attente des hôpitaux, dans les toilettes publiques, dans les cybercafés et dans les maisons abandonnées en hiver. Quand ils sont capables de mettre quelque argent de côté, grâce à des petits boulots, dans les métiers du bâtiment, ou le débardage de marchandise au marché général, par exemple, ces gens, surtout en hiver quand il fait très froid, se réfugient dans des foyers bon marché, ou louent des petites chambres. Ceux qui appartiennent à cette catégorie, même s’ils connaissent l’existence des abris du Gouvernement, refusent d’y aller (84%). Le pourquoi ils refusent ces abris du Gouvernement vient du fait que la vie dans ces abris n’est pas totalement sûre ou qu’ils craignent la vie commune (20%) ou que les logements sont trop restreints (5%), ils veulent vivre librement, sans restrictions de qui que ce soit (31%). Ainsi cette catégorie de gens, même s’ils connaissent l’existence des abris gérés par l’Etat, préfèrent vivre dans la rue ou tenter leur chance, à cause de leur incapacité de vivre avec d’autres. Cela leur vient de leur manque d’estime de soi et de leurs problèmes psychologiques et de personnalité. (Dans cette catégorie, au moins 50% sont divorcés, autrement dit, ils ont vécu une expérience de famille brisée et ont abandonné leurs enfants.)
Quelles réponses pouvons-nous proposer ?
Tout d’abord, il s’agit de les accepter pour qui ils sont et ce qu’ils sont et, en même temps, subvenir à leurs besoins de base : nourriture, vêtements, douche, coiffeur, aide médicale, juridique et psychologique. Il nous faut aussi les aider à trouver les moyens qui leur permettront de ne plus être des sans domicile. Notre Centre « Anna’s House » voudrait être une de ces réponses pour ce type de SDF ; tout en les respectant dans leurs choix de vivre dans la rue, nous leur offrons les services qui répondent à leurs besoins de base. Entre temps, notre Centre propose des programmes de formation qui encouragent le développement de la personne : une ‘Ecole du soir’ de connaissances générales, des cours pour ceux qui ont des problèmes d’alcool, éducation sexuelle principalement pour prévenir le SIDA, cours d’hygiène, et des cours de droit. Lentement, ‘Anna’s House’ s’est transformée, de la cantine du soir qu’elle était au départ, elle est devenue un centre de réhabilitation des gens de la rue.
Le but de notre Centre est d’accepter les gens de la rue pour qui ils sont et ce qu’ils sont, de les écouter et d’essayer ensuite de les aider. En italien j’appelle cela les ‘3A’ accogliere (accueillir), ascoltare (écouter), aiutare (aider).
Tout ce travail se fait en collaboration avec les autres centres dans la capitale, dans le réseau de tous les services, hôpitaux et autres programmes gérés par l’Etat, de manière à offrir la gamme la plus vaste de services et de chances pour une réintégration éventuelle dans la société.
c) Les SDF ou les Sans Toit occasionnels (saisonniers).
Leurs caractéristiques.
Cette catégorie est liée au phénomène d’urbanisation (la formation des mégapoles) et à l’industrialisation. Beaucoup de jeunes, intellectuellement moins doués, avec une scolarité défaillante, vivant à la campagne, où les salaires sont très bas, qui n’ont guère de perspectives d’avenir, fascinés par le clinquant de la ville, vont vers les mégapoles, pour faire fortune. N’ayant qu’un bagage limité de connaissances générales, avec une psychologie plutôt simple, sans contacts (amis, parents) dans leur nouvel environnement, on le retrouve dans les petits boulots précaires, dans la construction, manœuvres, débardeurs, etc. Ainsi, dès qu’ils ont quelque argent, ils se prennent en charge et logent en des petites et pauvres chambres, ils achètent et mangent ce que leurs épargnes permettent. Quand il n’y a pas de travail, surtout en hiver (la température descend à -10C), ou durant la saison des pluies, ils se retrouvent à vivre dans la rue, chez des amis ou dans des squats, se nourrissant dans les divers centres pour SDF.
Ces SDF saisonniers qui dépendent du temps, des saisons, de la situation économique du marché et des crises financières récurrentes sont les plus menacés de devenir SDF; ils se déplacent d’un lieu à l’autre du pays ou d’un endroit à l’autre de cette immense ville. Ce groupe s’appelle ‘le saisonnier invisible.’ Ils n’apparaissent en aucune statistique officielle, mais c’est le groupe le plus nombreux. Ceux d’entre nous qui sommes engagés en ce travail sommes convaincus que les SDF saisonniers sont au moins quarante à cinquante mille.
Quelles réponses pouvons-nous proposer ?
La façon d’aider ces invisibles saisonniers Sans Toit est de créer des centres pour répondre à leurs premiers besoins. Il nous faut les rejoindre là où ils sont et leur fournir l’information sur les diverses possibilités que ces centres offrent.
Le gouvernement, de façon régulière, organise une aide pour les membres plus faibles de sa population. Ces « SDF saisonniers » peuvent fréquenter une formation professionnelle pour devenir électriciens, menuisiers, travailleurs informatiques, boulangers, etc. Ce sont des possibilités pour eux d’acquérir une qualification et de chercher un travail stable. Voilà des chances qui leur permettraient de sortir de l’état de SDF ; malheureusement peu saisissent l’occasion de telles formations. Même ceux qui obtiennent un diplôme ne sont pas toujours capables de se réinsérer dans le monde du travail.
d) Les SDF souffrant de maladies mentales
Leurs caractéristiques.
A cette catégorie appartiennent les personnes qui souffrent de dérangements mentaux, plus ou moins sérieux, avec des troubles de comportement et des problèmes psychologiques, qui font d’eux des asociaux et des alcooliques chroniques. Plusieurs d’entre eux ont été abandonnés par leur famille et sont dans la rue ; d’autres se soignent en des centres spécialisés pour ces maladies. Selon les informations données par le Ministère de la Santé, en 2010, en Corée, il y a 37 institutions qui s’occupent d’environ 9.385 personnes, tous de cette catégorie.
Quelles réponses pouvons-nous proposer ?
J’ai l’impression que l’organisation que l’Etat met en place répond bien aux besoins de ces hommes et de ces femmes et que les programmes actuels sont bien gérés et aident grandement ces SDF.
Si l’on est d’accord avec le gouvernement coréen de compter comme SDF seulement ceux qui vivent dans la rue - 1588 en tout - ou ceux qui sont dans les abris (quelques 3875), alors le problème n’est pas trop grave et le gouvernement répond adéquatement à la question.[vi]
Si cependant l’on approfondit la question et qu’on accepte la définition du SDF comme l’a donnée la « troisième Rencontre Internationale de Pastorale de la rue » ou celle du « Département du logement et du développement urbain » adoptée aux Etats Unis, nous voyons immédiatement qu’en faisant la somme des quatre catégories de SDF, mentionnées précédemment, les chiffres sont assez différents.
* Les SDF vivant dans les abris: 3875.
* Les SDF chroniques (qui vivent dans la rue): 1588.
* Les SDF saisonniers ou les Sans Toit: 40.000 à 50.000.
* Les SDF souffrant de dérangements psychiques: 9385.
* Ceux du programme « La Chambrette »: 6022.
Les nombres sont sensiblement différents, en gros : 70.000 personnes !
Vous pouvez donc voir que même en Corée, le problème des SDF n’est pas marginal et comprend beaucoup de monde. De plus, si vous prenez en considération que le problème de l’absence de logement est lié à l’urbanisation, au stress psychique, au traumatisme (toujours plus fréquents dans une société capitaliste moderne, dotée de super technologie) et à l’incapacité pour les gens simples de maintenir le rythme de ce type de société qui est chaque jour plus compliquée et rapide, on peut comprendre que le nombre de ces personnes est destiné à croître et non pas à décroître.
Donc, à partir de mon expérience personnelle, je crois qu’il y a encore beaucoup à faire en Corée:
* Avec les SDF qui refusent de rejoindre les abris et préfèrent vivre dehors, nous avons besoin d’un vaste programme d’information et des moyens pour une action de proximité.
* Par rapport à l’Etat qui a encore de la peine à comprendre les problèmes des SDF dans sa complexité globale, et qui donc refuse d’aider financièrement des centres comme Anna’s House, entièrement financé par des contributions volontaires d’amis et de bienfaiteurs.
* Face à la société qui rejette les SDF, ne voyant en eux que des ivrognes sales, des paresseux qui ne veulent pas travailler, ou des malades mentaux.
* Face à l’Eglise catholique qui fait peu attention aux SDF (62% des abris sont gérés par les Protestants, 9% par les Bouddhistes, 5% par les Catholiques, les 22% restant, par d’autres) ni aux pauvres en général. Les Catholiques en Corée représentent 10% de la population, ils devraient vivre avec plus d’engagement le commandement de la charité (Jean 13,34-35) envers les gens qui souffrent, les pauvres et les abandonnés. Jésus lui-même a aimé et a aidé les pauvres et les souffrants et Il a enseigné à faire de même. (Luc 10, 29-37: Le Bon Samaritain).
À Anna’s House, ensemble avec les autres organisations bénévoles, nous travaillons principalement dans ce ‘no man’s land’ : “les SDF chroniques et saisonniers”. Nous ne cherchons pas seulement à aider les ‘gens de la rue’, mais aussi l’Etat, l’Eglise et la société pour qu’ils comprennent mieux, et sans préjugés, la vérité à propos des sans domiciles. Pour ce faire, nous travaillons à trois niveaux:
* Des centaines de bénévoles sont engagés personnellement dans ce travail et acquièrent ainsi une bonne expérience. Côte à côte avec les SDF, ils se font une idée précise du problème. Dans nos centres, les bénévoles commencent toujours par un moment de prière/méditation, et ils finissent la journée par un moment de formation sur leur travail de bénévoles.
* Nous organisons des rencontres avec les institutions politiques et administratives pour les rendre conscientes des enjeux réels et vastes du problème.
* Par les mass-médias: nous réalisons des programmes de télévision, donnons des interviews et écrivons des articles sur cette question. Enfin, un petit journal “New Life” – Vie nouvelle – donne aux SDF la possibilité de parler d’eux-mêmes et de leur vie.
Le chemin reste encore bien long, mais je pense que l’itinéraire a été bien balisé et je pense que, avec le temps, tout ceci portera de bons fruits
J’aimerais conclure par un coup d’œil à la ‘Spiritualité d’Anna’s House’. Cette maison est fondée sur l’expérience de l’Apôtre Saint Thomas auquel le Christ ressuscité a montré ses blessures (Jean 20, 24-29): « Mets ton doigt dans mes blessures; mets ta main dans mon côté ». Jésus, le Fils de Dieu est ressuscité et a vaincu la mort. Il est glorieux et vivant parmi nous. Nous pouvons expérimenter la présence glorieuse de sa vie dans les sacrements, la Parole, dans la communauté de l’Eglise et dans la beauté de la nature. Où pouvons-nous voir ses blessures ouvertes et vivantes qu’Il porte encore sur son corps glorifié ? Où sont-elles ? Elles sont vivantes et présentes parmi nous en chaque personne qui souffre, qui est isolée, exclue et rejetée… chacune est une blessure vivante du Christ glorieux. Ainsi nous tous qui travaillons à Anna’s House nous ne faisons pas de bonnes œuvres pour les pauvres, les abandonnés et les SDF ; mais, nous avons l’honneur de soigner et de panser ces blessures que Jésus le Ressuscité porte encore sur son corps glorieux. Voilà la spiritualité d’Anna’s House.
[i] IIIe Rencontre Internationale de la Pastorale de la Rue: n.6 Cité du Vatican, 26-27 Novembre 2007.
-Aux Etats Unis, le Département du logement et du développement urbain utilise cette définition:
a- Itinérance: condition d’une catégorie de gens qui n’ont pas de logement régulier, soit parce qu’ils ne peuvent pas se le procurer, soit parce qu’ils sont incapables de maintenir un logement régulier, sûr et convenable, soit par manque de « résidence fixe et convenable pour la nuit »1] Etats Unis – Département du Logement et du Développement Urbain, “Définition Fédérale de l’Itinérance”
b- Le terme Itinérance peut aussi inclure des gens dont la résidence principale pour la nuit est un abri pour sans domicile, dans une institution qui offre une résidence temporaire, prévue pour être institutionnalisée, ou en un lieu public ou privé, non destiné à servir de façon régulière de résidence de nuit pour des êtres humains. (Office of Applied Studies, United States Department of Health and Human Services, “Terminology” United States Code, Title 42, Chapter 119, Subchapter I, § 11302. United States Code: General definition of a homeless individual.)
[ii] Il ne s’agit pas uniquement de la pauvreté matérielle mais aussi psychologique ou mentale. Par exemple, il arrive très souvent, ce qui horrifie beaucoup de gens, que parmi les sans abri qui fréquentent notre Centre, il y en ait certains qui, tout en faisant la queue pour le repas du soir, parlent calmement et sans aucun problème sur leur portable ou écoutent de la musique sur leur MP3!
[iii] Voici une lettre que j’ai envoyée à mes amis. Elle reflète bien le sens d’une présence missionnaire en Corée :
MISSIONNAIRE DANS LA JUNGLE DE BÉTON
En Asie, dans les années 70, il n’y avait que 8 villes qui comptaient plus de cinq millions. Dans les années 90, elles étaient 31. En 2020, les zones urbaines compteront une population totale de plus 2 milliards 400 millions de résidents, ce qui représentera pratiquement la moitié de la population de tout le continent. Aujourd’hui, en Asie, il y a 13 villes, qui dépassent 10 millions…
Je vis en l’une d’elles : Séoul, la capitale de la Corée du Sud. Qu’est-ce que cela signifie pour un missionnaire de vivre en un tel environnement ? Pourquoi un missionnaire est-il appelé à vivre dans l’une des villes les plus riches, modernes et développées au monde ? La coupe du monde de football en 2002 a mis en évidence ces aspects de Séoul. Vers la fin de 2002, les Jeux Asiatiques se sont aussi tenus en Corée. Et avant cela, l’Exposition mondiale s’est tenue à Daejeon (1993) et avant cela encore, en 1988, les Jeux Olympiques se sont déjà tenus à Séoul.
La mission en Corée, comme ailleurs dans le monde riche, est bien tranquille. Comme l’Eucharistie, la mission ici consiste en une présence silencieuse, solitude, et effort sincère de partage, en voulant permettre aux autres d’être servis d’abord. Cette perspective missionnaire n’est pas vraie pour moi seulement qui vis dans l’Extrême Orient, mais pour tous les missionnaires, appelés à travailler dans les pays économiquement avancés. C’est dans ces pays que nous trouvons des poches de pauvreté ; c’est là que les « nouveaux pauvres » vivent. Si nous voulions simplement définir cette nouvelle réalité émergente, on pourrait parler de « Quatrième Monde ».
Je suis bien conscient que des décennies de littérature, diapos et vidéos sur les activités missionnaires, nous ont conduits à associer le mot « mission » avec Afrique, avec pauvreté, avec faits héroïques et extraordinaires. Le mot ‘mission’ évoque des forêts vertes et dissuasives, des rivières dangereuses qu’il faut franchir à gué, des sentiers vertigineux à parcourir. C’est probablement l’image de la mission dans le Tiers Monde, en Afrique, par exemple.
Mais peu à peu, derrière cette réalité, est en train d’émerger une nouvelle, dans laquelle il n’est pas question de forêts mais de jungle de béton. Nous ne parlons pas de rivières tumultueuses, mais de rivières de gens qui remplissent et submergent nos métropoles chaotiques. Nous ne parlons pas de sentiers battus, mais d’autoroutes, d’internet, de satellites. C’est la mission du Quatrième Monde : le monde moderne. Néocapitaliste, riche, sécularisé, où la communication est devenue facile et où l’économie se développe rapidement.
Mais, vivant sur les marges de ce monde, il y a les myriades de marginalisés et de blessés de la vie : alcooliques, handicapés, travailleurs étrangers, drogués, SDF, malades du SIDA, personnes âgées, pauvres et chômeurs. En un mot, nous pouvons les appeler les ‘nouveaux pauvres’, même s’ils ne sont pas vêtus de haillons, ils sont dépouillés de leur dignité humaine. Personne ne s’occupe de ces gens ; leur présence même est ignorée. Et pourtant leur réalité est proche de chacun parce qu’on les rencontre facilement, en toutes nos villes.
Ces nouveaux pauvres, nous les trouvons à Osaka (dans le riche Japon), dans les ghettos de Chicago, dans les bidonvilles de Nairobi, dans les favelas de Sao Paolo, à Séoul, à Rome… Le Quatrième Monde n’est pas une réalité géographique lointaine et difficile comme la mission dans le Tiers Monde, mais une réalité culturelle à la portée de chacun, puisqu’elle est présente en chaque capitale moderne. C’est une situation facilement approchable, car elle ne demande pas d’énormes richesses, les hommes et les femmes peuvent, avec relativement peu de ressources, s’engager dans l’écoute et le dialogue, essayer de résoudre les problèmes de ces ‘nouveaux pauvres’, en leur étant proches avec compassion et créativité.
Nous pouvons donc dire que la mission dans le Quatrième Monde, confrontée aux nouveaux pauvres et à la réalité de la marginalité, est une mission proche de chez-nous, que nous trouvons en toute société moderne. Elle est facile parce qu’elle ne demande pas de grandes ressources. Elle peut se faire avec des moyens élémentaires ; elle est simple parce qu’elle concerne chacun, sans exception. Comprenez-vous maintenant comment les horizons de la mission se sont énormément élargis pour moi, pour vous ? C’est ici que la souffrance humaine demande d’être consolée, et comme Jésus sur la Croix, elle crie pour ressentir la proximité de la présence de Dieu. C’est là où les frères marchent ensemble, partageant l’amour qu’ils ont reçu dans l’Eucharistie. Les missionnaires d’aujourd’hui – les missionnaires du Quatrième Monde – ne sont pas tant des bâtisseurs ou des distributeurs de biens ; ce sont des hommes et des femmes qui vivent ensemble avec les gens, partageant leurs mêmes joies, espoirs et soucis.
Ils sont un simple signe de la riche présence de Dieu parmi le peuple. Ils sont le pain rompu pour les pauvres. Telle a été mon expérience missionnaire en Corée.
[iv] 1. Soupes populaires: repas pour SDF (du lundi au samedi de 16:30-19:00): Une moyenne de 400 à 450 personnes viennent chaque jour. Ce des SDF, des alcooliques, chômeurs, pauvres et âgés, malades physiquement et mentalement. 70% d’entre eux vivent dans la rue. Ce service se fait grâce à 600 bénévoles, répartis en 30 équipes qui interviennent ainsi une fois par mois.
2. Dispensaire: Clinique générale, psychiatrie, dentistes (mardi, 17.00~19.00): Après la consultation chez le médecin, nous donnons les médicaments gratuitement, ou si c’est nécessaire, nous offrons une intervention spécialisée. Nous envoyons le malade vers un grand hôpital. Nous avons un réseau de 8 hôpitaux généraux qui interviennent gratuitement. Les bénévoles qui y travaillent sont plus de 25, y compris les médecins, infirmières et auxiliaires.
3. Consultation pour chômeurs (jeudi: 17:00~19:00): Chaque semaine, nous constituons une équipe de consultants pour aider les chômeurs à trouver un travail.
4. Psychologues Conseil (vendredi 17:00~19:00): Une équipe de deux travailleurs sociaux qui chaque vendredi viennent rencontrer des personnes qui ont des problèmes psychologiques pour essayer de résoudre ces problèmes.
5. Salons de coiffure et service douches (mercredi et jeudi): deux équipes de 4 personnes, ils coiffent les clients, deux fois par semaine.
6. Distribution de vêtements (mercredi): 70% des gens qui viennent à notre centre vivent dans la rue ; ils n’ont donc pas la possibilité de laver leurs habits. Après les avoir portés 3 ou 4 semaines, ils ont besoin de les changer. Nous leur fournissons des habits, collectés par des bénévoles qui vont régulièrement dans les paroisses de la ville, recueillir les vêtements d’occasion.
7. Juristes Conseil: Une fois par mois, un juriste vient à Anna’s House pour aider à résoudre les problèmes juridiques qui inquiètent les gens. De plus, le juriste est toujours disponible pour des consultations par téléphone.
8. Célébrations d’anniversaires pour SDF: Le premier mercredi de chaque mois, nous avons une célébration pour tous ceux qui célèbrent leur anniversaire dans le mois. Nous offrons le gâteau, les sodas, les chants et petits cadeaux. Par ces célébrations modestes nous voulons exprimer aux gens notre affection et les reconnaître comme des êtres humains normaux. Chacun durant sa vie peut expérimenter des crises, la solitude, l’aliénation.
9. Petite bibliothèque: Beaucoup arrivent à Anna’s House tôt dans l’après-midi; ils n’ont rien à faire jusqu’au dîner. Donc, pour eux qui veulent passer du temps autrement, nous avons préparé une petite bibliothèque, à consulter gratuitement. Cette bibliothèque est ouverte à tous.
10. Spiritualité Conseil: Un prêtre est toujours disponible pour les SDF et les bénévoles, car quelques uns parmi eux souhaitent parler avec un prêtre ou se confesser.
11. Cours de formation: Nous avons organisé des classes hebdomadaires sur des sujets culturels. Les personnes qui fréquentent ces cours ont réalisé un petit journal, écrit par eux-mêmes. Il y a aussi des cours sur l’alcoolisme, le droit et les problèmes de santé mentale.
12. Travail de proximité: Nous allons dans les rues où les SDF vivent, surtout la nuit, pour les rencontrer, les écouter et les aider.
[v] Le 3 mars 2010, à Anna's House, 543 SDF ont été interviewés. Nous l’avons fait afin de mieux comprendre la situation de nos clients. Les données qui sont sorties du questionnaire sont très semblables aux statiques nationales et plus ou moins identiques à la vue d’ensemble faite dans notre Centre en 2008.
[vi] Nous avons souvent observé que les statistiques et les données fournies pour le gouvernement ne correspondent pas à la réalité. Prenons un exemple: les données fournies par le Conseil municipal de Seong- Nam où je travaille indiquent qu’il y a 72 SDF ! Alors que seulement dans notre Centre, chaque jour viennent au moins 150 qui sont de Seong-Nam!
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