Les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée.
Le nom, le projet…
(Marie dans l’annonce missionnaire hier et aujourd’hui,
chez les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée)
By Michel Courvoisier, OMI
La Société française d’Etudes mariales organise chaque année une Session sur un thème de sa compétence. Par exemple, en 1999 à La Salette : « La Vierge dans la catéchèse, hier et aujourd’hui », et en 2001 à Lourdes « La place de la Vierge dans l’enseignement de la théologie et la catéchèse des adultes ». Le thème actuellement proposé occupe deux sessions (2006 et 2007), c’est « Marie dans l’annonce missionnaire, hier et aujourd’hui ». Des interventions ont été demandées aux diverses familles missionnaires : Spiritains, Pères Blancs, La Salette, Sœurs du p. Kolbe, Montfortains, Xavières, OMI… Ayant été chargé de représenter les Oblats, j’ai rédigé deux documents. Le document simplifié est conforme au cadre demandé pour le Congrès et sera publié par la SFEM avec les autres communications. On trouvera ici un texte un peu plus développé, avec des citations plus nombreuses et plus étendues. Il s’agit bien entendu d’un essai,sans prétention doctrinale, soumis à la critique, mais aussi voulant contribuer à la formulation de notre identité de Missionnaires Oblats de Marie Immaculée.
Introduction
La question posée :
Marie dans l’annonce missionnaire hier et aujourd’hui, chez les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée m’est apparue comme un défi.
Parce qu’à l’évidence, il est présomptueux de prétendre ressaisir en quelques pages ce qui a été et est vécu sous cet angle dans les bientôt deux siècles d’existence d’une congrégation très internationale passablement décentralisée.
Mais surtout parce que notre nom d’Oblats de Marie Immaculée peut susciter, par rapport au thème de notre Congrès, des attentes qui risquent d’être déçues. Soyons clairs. Malgré notre nom, il ne semble pas que l’Immaculée Conception, ni même Marie aient jamais été chez nous au centre de l’annonce missionnaire ou de la spiritualité. Les Oblats ont connu une assez longue période du Sacré-Coeur, plus d’un quart de leur existence. La mission qui leur avait été confiée à Montmartre a eu un profond retentissement sur tout l’institut. Par contre, il n’y a pas eu de période Marie Immaculée, ni après la définition dogmatique de 1854, ni après la prise en charge du sanctuaire de Pontmain.
D’où le titre quelque peu énigmatique que j’ai donné à cet exposé : « les Missionnaires OMI, le nom, le projet… » Il va de soi que je me place au point de vue de notre Congrès.
Période de fondation
La période de fondation des Oblats est, pour ce qui est de Marie Immaculée, assez paradoxale.
Au printemps 1813, Eugène de Mazenod, jeune prêtre, récemment revenu à Aix-en-Provence, fonde une Congrégation de la jeunesse chrétienne,
« établie sous l’invocation de l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge ». C’est sa première œuvre. Les jeunes
« se consacrent à la Sainte Vierge », ils sont appelés à prier Marie, avec le petit Office, avec le Rosaire hebdomadaire et le
Souvenez-vous, à célébrer ses fêtes, à de
« courtes aspirations » vers Marie. On ne trouve cependant ni dans les statuts ni dans les comptes rendus des activités les éléments de ce qui serait une spiritualité mariale. Un Acte de consécration est demandé aux jeunes congréganistes, mais il s’agit d’une consécration à la très sainte Trinité
« par les mains de la très sainte Vierge et Immaculée Marie notre mère et patronne ». C’est à retenir.
1816. Eugène de Mazenod regroupe quelques prêtres dans le but de prêcher des missions paroissiales en provençal. Ils se donnent le nom de Missionnaires de Provence. Ni dans les premiers documents officiels (statuts, autorisation du diocèse), ni dans les comptes rendus des premières missions, la Vierge Marie n’est mentionnée. La mission de Marignane, en novembre-décembre 1816, est la première dont on garde un long compte rendu, rédigé par Eugène de Mazenod lui-même
. « Nulle mention d’une consécration à la Sainte Vierge, bien que la fête de l’Immaculée Conception ait eu lieu le quatrième dimanche de la mission »., remarque Leflon (tome 2, p. 109).
La grande mission de Marseille en 1820 est prêchée conjointement par les Missionnaires de France des abbés Rauzan et Forbin-Janson et par les Missionnaires de Provence. Est organisée une procession au Fort de Notre-Dame de la Garde, où la chapelle est alors en bien mauvais état. On est le 2 février et c’est Forbin-Janson qui prêche sur Marie
« pleurant au pied de la croix la mort de son Fils adorable ». Pour ce jour-là, Eugène de Mazenod, dans une lettre à Marius Suzanne alors scolastique (EO 6, 68), souligne seulement la bénédiction du saint sacrement.
« Nous avons présenté le corps de Jésus-Christ à l’adoration de 50 000 personnes prosternées qui jonchaient la montagne. » Rien n’est dit de Marie. Quelques jours plus tard, Eugène prêche pour la clôture de la Mission devant une foule encore plus nombreuse, mais c’est au Calvaire qu’on vient de construire, pour la célébration de la Croix.
Il y aura ensuite, dans les missions, une célébration de consécration à la Sainte Vierge qui fera partie du programme habituel. On ne sait pas bien à partir de quand, ni comment elle était présentée et célébrée.
En 1818, les Missionnaires de Provence prennent en charge le sanctuaire de Notre-Dame du Laus, dans les Hautes-Alpes et donc hors de Provence. Les documents de fondation de cette deuxième communauté signalent à peine qu’il s’agit d’un sanctuaire marial. Aucune allusion ni dans la demande formulée par le vicaire général du diocèse, ni dans la réponse d’Eugène de Mazenod. On y voit surtout un lieu à partir duquel les missionnaires pourront prêcher des missions dans tout le diocèse, où aussi, notamment par le sacrement de réconciliation, le travail missionnaire pourra être poursuivi. Eugène écrit au p. Mye en octobre (EO 6, 51) :
« Nous sommes devenus les gardiens d’un des plus célèbres sanctuaires de la Sainte Vierge où le bon Dieu se plaît à manifester la puissance qu’il a départie à cette chère Mère de la Mission… De là après avoir prêché la pénitence à ces bons fidèles et leur avoir exalté les grandeurs et les gloires de Marie nous nous répandrons dans les montagnes pour annoncer la parole de Dieu… »
On sait que l’acceptation de cette deuxième fondation entraîna la rédaction des Constitutions et l’institution de la vie religieuse pour les Missionnaires de Provence. Naturellement, les textes disent que les missionnaires mettent leur existence et leurs activités sous la protection de Marie, qu’
« ils regarderont toujours comme leur mère ». Ils doivent encourager les fidèles à la mortification, à la fréquentation des sacrements, à la dévotion à la Sainte Vierge… Cela est mis sur le même plan. Les Règles adoptées alors demandent que les missionnaires fassent une visite quotidienne au très saint Sacrement et à la sainte Vierge
, « à laquelle ils feront tous profession d’avoir une dévotion spéciale et une grande tendresse… » Alphonse de Liguori le demandait déjà en termes très proches. On ne peut pas dire que Marie soit au centre… Le centre, explicitement, c’est Jésus, et Jésus Sauveur des hommes par sa croix.
« Il est pressant d’apprendre à ces chrétiens dégénérés ce que c’est que Jésus-Christ…, d’étendre l’empire du Sauveur… »
Dans sa lettre du 15 août 1822 à Tempier (EO 6, 98ss), Eugène de Mazenod se laisse aller à des confidences. Elles laissent entrevoir le contenu de sa pensée profonde et donc de sa prédication sur Marie. Mais il s’agit d’une lettre privée, presque intime, exprimant le fond de son cœur à son ami le plus proche, une lettre que ses autres compagnons ne connaîtront pas, au moins en principe. Quelques heures auparavant avait été bénite la statue de l’Immaculée dans l’Eglise de la Mission à Aix.
« Content des hommages que nous venons de rendre à notre bonne Mère, au pied de la belle statue que nous avons élevée à sa mémoire au milieu de notre église… Que ne puis-je vous communiquer tout ce que j’ai éprouvé de consolation dans ce beau jour consacré à Marie notre Reine ! Je n’avais pas senti depuis longtemps tant de bonheur à parler de ses grandeurs et à exciter les chrétiens à mettre en elle toute leur confiance, comme ce matin à l’instruction de la Congrégation. J’ai l’espoir d’avoir été compris, et ce soir j’ai cru m’apercevoir que tous les fidèles qui fréquentent notre église ont partagé la ferveur que nous inspirait la vue de l’image de la Sainte Vierge, et plus encore les grâces qu’elle nous obtenait de son divin Fils, tandis que nous l’invoquions avec tant d’affection, j’ose dire, puisqu’elle est notre Mère. Je crois lui devoir aussi un sentiment particulier que j’ai éprouvé aujourd’hui, je ne dis pas précisément plus que jamais, mais certainement plus qu’à l’ordinaire. Je ne le définirai pas bien parce qu’il renferme plusieurs choses qui se rapportent pourtant à un seul objet, notre chère Société… »
En 1825, après une fondation à Nîmes, le nom de Missionnaires de Provence ne convient vraiment plus. Pendant quelques mois, on s’appellera officiellement Oblats de Saint Charles… Cependant des problèmes avec les évêques conduisent Eugène de Mazenod à aller à Rome chercher une approbation du Saint-Siège. A son initiative, le nom de la petite société devient Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, nom sous lequel elle est approuvée par le pape en 1826. La première allusion à la nouvelle dénomination se trouve dans sa lettre à Tempier du 22 décembre 1825 (EO 6, 226ss), le surlendemain de l’audience chez Léon XII.
« J’avais écrit quatre questions sur lesquelles je voulais que le Chef de l’Eglise me répondît catégoriquement. » La quatrième est celle-ci :
« Votre sainteté approuve-t-elle que la Société prenne le nom d’Oblats de la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie au lieu de celui d’Oblats de Saint-Charles qu’elle avait pris précédemment ? - Le Pape ne dit ni oui ni non ; je crus comprendre qu’il disait qu’on le mettrait dans le rapport. Je n’insistai pas pour le faire mieux expliquer, parce que c’était la chose la moins importante, et qu’on pouvait attendre sans inconvénient. Ce changement m’a paru nécessaire pour n’être pas confondus avec une infinité de communautés qui portent ce même nom. »
Eugène n’a jamais expliqué quand et comment l’idée lui était venue. Mais c’est le 8 décembre 1825, après avoir pris part à la neuvaine préparatoire à la fête de l’Immaculée Conception, qu’il a fini de rédiger, puis signé la Supplique au Saint-Père demandant l’approbation. Dans cette supplique, il exprime déjà le souhait :
« Votre Sainteté est suppliée de vouloir bien, dans le bref d’approbation que les missionnaires sollicitent, leur donner le nom d’Oblats de la très sainte et immaculée Vierge Marie au lieu d’Oblats de saint Charles, pour éviter toute confusion de nom avec d’autres congrégations… » (Texte dans
Missions OMI 1952, p. 461). Ce n’est qu’ensuite, semble-t-il, qu’il prend conscience que le changement de nom,
« chose considérée comme la moins importante », peut être plus signifiant qu’il ne pensait d’abord.
C’est deux jours après la lettre déjà citée, simple compte rendu de l’audience accordée par le pape, dans une seconde lettre datée donc du 24 décembre (EO 6, 234), que le Fondateur souligne avec enthousiame le changement de nom.
« Qu’on se renouvelle surtout dans la dévotion à la très sainte Vierge, pour nous rendre dignes d’être les Oblats de l’Immaculée Marie. Mais c’est un brevet pour le ciel ! Comment n’y avons-nous pas pensé plus tôt ? Avouez que ce sera aussi glorieux que consolant pour nous de lui être consacrés d’une manière spéciale et de porter son nom. Les Oblats de Marie ! Ce nom satisfait le cœur et l’oreille. Il faut que je vous avoue ici que j’étais tout étonné, lorsque l’on se décida à prendre le nom que j’ai cru devoir quitter, d’être si peu sensible, d’éprouver si peu de plaisir, je dirai presque une sorte de répugnance de porter le nom d’un saint qui est mon protecteur particulier, auquel j’ai tant de dévotion. A présent, je me l’explique : nous faisions tort à notre Mère, à notre Reine, à celle qui nous protège et qui doit nous obtenir toutes les grâces dont son Fils l’a faite dispensatrice. Réjouissons-nous donc de porter son nom et sa livrée. »
On sait que l’approbation pontificale fut accordée le 17 février 1826. Le Bref officiel est daté du 21 mars. On y lit :
« Nous espérons que les membres de cette sainte famille qui se sont dévoués au ministère de la prédication et reconnaissent pour patronne la Mère de Dieu, la Vierge immaculée, s’appliqueront, selon la mesure de leurs forces, à ramener dans le sein de la miséricorde de Marie les hommes que Jésus-Christ, du haut de la croix, voulut lui donner pour enfants. » On a là, et il faut le souligner, le premier texte donnant aux Oblats de Marie Immaculée une mission mariale. C’est même le paragraphe qui conclut le Bref. On peut penser qu’Eugène de Mazenod n’y est pas étranger. Est alors introduit dans la Règle, dans la section
« De la prière et des autres exercices religieux », un petit complément significatif. On reprend l’ancien article
: « Ils diront chaque jour le chapelet », et on ajoute
: « Ils travailleront avec ardeur (omnem navabunt operam) pour que les populations honorent avec plus de ferveur et de confiance l’immaculée et très sainte Mère de Dieu ».
Eugène de Mazenod annonce le succès de ces démarches dans une lettre datée du 20 mars (EO 7, 65), exprimant à nouveau son enthousiasme.
« Puissions-nous bien comprendre ce que nous sommes ! J’espère que le Seigneur nous en fera la grâce, avec l’assistance et par la protection de notre sainte Mère, l’Immaculée Marie, pour laquelle il faut que nous ayons une grande dévotion dans notre Congrégation. Ne vous semble-t-il pas que c’est un signe de prédestination que de porter le nom d’Oblats de Marie, c’est-à-dire consacrés à Dieu sous les auspices de Marie, dont la Congrégation porte le nom, comme un nom de famille qui lui est commun avec la très sainte et Immaculée Mère de Dieu ? Il y a de quoi faire des jaloux ; mais c’est l’Eglise qui nous a donné ce beau titre, nous le recevons avec respect, amour et reconnaissance, fiers de notre dignité et des droits qu’elle nous donne à la protection de la Toute Puissante auprès de Dieu… » On peut noter que le mystère de l’Immaculée Conception n’est pas particulièrement souligné, Eugène de Mazenod ne pense pas que ce soit nécessaire. Par contre, à l’invocation habituelle en tête de ses lettres :
« L.J.C. = Laudetur Jesus Christus », il ajoute pour la première fois
: « et M.I. = et Maria Immaculata ». Cette invocation :
« L.J.C. et M.I. » devient désormais la règle. On peut noter qu’Alphonse de Liguori vers 1745 mettait en tête de ses lettres :
« Loué soit le Très Saint Sacrement et Marie Immaculée ».
Le Chapitre général, réuni au Calvaire dès son retour, se conclut par une allocution du Fondateur, que résume ainsi le registre des Actes du Chapitre :
« Désormais nous combattrons les ennemis du Ciel sous un étendard qui nous sera propre et que l’Eglise nous a donné. Sur cet étendard brille le nom glorieux de la très sainte Vierge Immaculée. » On ne donne pas d’autre écho à la mission mariale. Nous attendrions davantage. On en fait encore moins cas au Chapitre général suivant (1831). Si Marie est mentionnée, c’est pour préciser la liste des fêtes mariales qui doivent être précédées d’une journée de jeûne. On ne retient rien d’autre.
Ce qui est ainsi formulé, pendant les quinze premières années de l’Institut, et par les textes officiels, et par les exhortations du Fondateur, ne manque pas de faire réfléchir. Voici quelques remarques.
De Marie, on retient surtout qu’elle est Mère, Mère protectrice, Toute Puissante auprès de Dieu, Mère de la Mission, Dispensatrice des grâces, à l’égard de tous, mais surtout des Oblats, notamment dans leurs travaux missionnaires.
Les insistances vont donc à la dévotion et à la confiance filiale.
- A la manière de l’époque, on ne fait aucun développement de type théologico-spirituel. Les affirmations vont de soi, on n’a pas besoin de les expliquer, ni surtout de les fonder théologiquement. Aucune réflexion n’est faite sur l’Immaculée-Conception. On parle indifféremment, semble-t-il, de Marie, de Marie Immaculée, de la Sainte Vierge, de la Mère de Dieu. Le texte de l’Evangile n’est jamais cité comme point d’appui ou même référence.
- Peut-être est-ce le lieu de rappeler que nulle part dans les écrits qui nous restent de saint Eugène, il n’est fait explicitement référence aux textes de l’Evangile concernant Marie, ni à l’Evangile de l’enfance, pas même au texte évangélique de l’Annonciation, ni à Cana, ni au court récit du Calvaire dans l’Evangile de Jean. René Motte, qui a relevé les textes d’Ecriture cités, n’a rien trouvé sur ce point. Il serait intéressant de comparer avec les contemporains. Des documents de l’époque, consultés, montrent qu’on n’y pensait guère. Cela suprend.
- La prédication des missions paroissiales ne comporte rien de spécifiquement marial. On note cependant un souci d’entretenir et de développer la dévotion à Marie.
- Un travail serait à faire, par exemple, sur les cantiques utilisés à l’époque. Les Archives OMI de Marseille possèdent un « Recueil de Cantiques et de Prières à l’usage des Missionnaires Oblats de Marie dits de Provence », datant de 1826. Mgr Fortuné date du 20 mars 1826 son approbation. Sur 113 cantiques français (rien en provençal dans ce livre), neuf sont des cantiques à Marie. Voici quelques lignes du cantique intitulé« Pour la Conception de la Sainte Vierge » : « De tes enfants reçois l’hommage / prête l’oreille à leurs accents / Seigneur, c’est ton plus noble ouvrage / Qu’ils vont célébrer dans leurs chants… / David de sa tige mourante / Voit germer la plus belle fleur. » Et David n’est pas seul à s’extasier. Voici le début du quatrième couplet : « Franchissant la céleste plaine / Les anges, riches de splendeur / Pour contempler leur souveraine / Quittent le séjour du bonheur… » L’ensemble est du même style. On s’en tiendra donc là, pour les cantiques.
Les sanctuaires de Marie, dès 1818
Heureusement les textes ne disent pas tout… La pastorale, la mission, c’est un agir. Les choix apostoliques d’Eugène de Mazenod et de ses compagnons nous parlent aussi, et plus concrètement. Le sanctuaire de Notre-Dame du Laus a été notre deuxième maison (1818). Il y eut ensuite Notre-Dame de l’Osier, dans le diocèse de Grenoble (1834), puis Notre-Dame de Lumières, dans celui d’Avignon (1837), en attendant d’autres lieux de pèlerinage.
Un texte de 1835 insiste sur les sanctuaires de Marie comme lieux de réconciliation des pécheurs. Il s’agit de l’Acte de visite de N.-D. du Laus. Le Fondateur parle du
« concours toujours croissant de fidèles qui accourent aux pieds de Notre Bonne Mère, assurés qu’ils sont de rencontrer sur les marches du trône terrestre de la Reine du Ciel des ministres zélés de son Fils, spécialement chargés de réconcilier les pécheurs sur lesquels cette Mère de Miséricorde appelle par sa puissante protection le pardon et la paix. » Le lien est fortement affirmé entre dévotion à Marie et conversion du cœur, réconciliation, pardon, grâce à la médiation de la Mère de miséricorde et au ministère des prêtres.
L’expérience pastorale vécue permet de formuler plus nettement une idée nouvelle sur la tâche des Oblats dans les sanctuaires de Marie. Aux Oblats de l’Osier, Eugène de Mazenod écrit le 3 septembre 1835 (EO 8, 172)
: « Souvenez-vous que la Providence vous a placés au service de ce sanctuaire pour donner une meilleure direction à la dévotion des peuples. Que leur vœu à la sainte Vierge les conduise à la conversion par votre ministère. » Les pèlerins viennent prier Marie. Votre ministère doit donner
une meilleure direction à leur dévotion et les conduire à la conversion. Et à propos de Lumières, après avoir placé cette maison
« spécialement sous la protection de notre souverain Maître et Sauveur », le Fondateur ajoute
: « C’est le Sauveur notre chef qui nous remet ces sanctuaires et qui nous y place comme dans une citadelle d’où nos missionnaires doivent se répandre dans les divers diocèses pour y prêcher la pénitence... » (
Journal, 2 juin 1837, EO 18, 177s).
Dans son
Journal, en date du 9 juin 1837 (EO 18, 187), Eugène de Mazenod a transcrit l’Acte de fondation de la communauté de Lumières, signé par l’archevêque d’Avignon, mais rédigé par le Fondateur
: « … Nous avons constitué canoniquement dans la maison de Notre-Dame de Lumières une communauté de la susdite congrégation des missionnaires, les chargeant spécialement : 1 – d’être les gardiens du sanctuaire pour y perpétuer et y propager toujours davantage la dévotion à la très sainte Mère de Dieu, et y donner une bonne direction à la piété des fidèles qui accourent dans ce saint lieu de toutes les parties de notre diocèse et de plus loin encore ; 2 – d’évangéliser toutes les paroisses de notre diocèse soit par des missions, soit par des retraites spirituelles… ; 3 – de donner des retraites spirituelles aux prêtres qui seront bien aises d’aller se recueillir quelques jours dans la solitude à l’ombre du sanctuaire de la sainte Vierge… » L’horizon reste missionnaire, on vise la conversion à Jésus Christ Sauveur, par la pénitence, la réconciliation. Les sanctuaires de Marie sont des lieux privilégiés, les pèlerins sont censés ouverts à cet appel. A propos du sanctuaire de Lumières pendant les mois d’été, le supérieur, le p. Bise, écrit que
« les Pères y font presque une mission continuelle » (Rapport au Chapitre de 1850).
Il en est de même à Marseille à Notre-Dame de la Garde, que les Oblats desservent probablement depuis 1831 (la date est imprécise), et où ils assurent bientôt une permanence d’accueil des pèlerins, en attendant les autorisations (car on est sur un terrain militaire), puis les travaux de construction de l’actuelle basilique. « Notre-Dame de la Garde est sortie du cœur de Mgr de Mazenod », dira son successeur lors de la consécration de la basilique en 1864. Une lettre à Casimir Aubert, écrite de Lumières le 3 juin 1837 (EO 9, 33), explicite la pensée du Fondateur :
« C’est une chose admirable que de nous voir chargés ainsi des sanctuaires les plus célèbres de la sainte Vierge. Il semble que le bon Dieu nous ménage le moyen d’accomplir les desseins de sa Providence et de nous acquitter du devoir qui nous a été imposé par le Chef de l’Eglise lorsqu’il institua notre Congrégation. »
Le dimanche 20 août 1837, dimanche dans l’octave de l’Assomption, Mgr de Mazenod, nommé évêque de Marseille, va dire la messe à Notre-Dame de la Garde
« pour me mettre moi, les nôtres et tout le diocèse sous la protection de la sainte Vierge ». Son
Journal (EO 18, 242) précise qu’avant la messe il a fait
« une instruction aux fidèles qui remplissaient la sainte chapelle » et qu’il a donné la communion à un grand nombre de personnes. Plus tard, Mgr de Mazenod écrira que les sanctuaires de Marie, en raison de la dévotion et de la confiance des fidèles sont
« les lieux privilégiés de sa miséricorde maternelle envers les hommes » (Lettre circulaire aux curés du diocèse de Marseille, 21septembre 1843). Dans son Mandement pour la reconstruction de ND de la Garde, en date du 1
er novembre 1852, il écrit :
« Quant à nous, nous avons résolu de ne rien négliger pour vous faire puiser toujours davantage à ce trésor inépuisable des grâces que le Seigneur a placé ouvert à toutes les âmes sous les auspices de sa Sainte Mère dans le sanctuaire bien aimé de la piété de nos ouailles. »
Un rapport du p. Dassy (cf.
Missions OMI 1864, pp. 244s), alors supérieur de la communauté de la Garde, mérite d’être cité
: « Notre œuvre essentielle en cet établissement est l’exercice du saint ministère à N.-D. de la Garde. Une seconde mission nous y est conférée : la continuation de l’apostolat de la Congrégation auprès des pauvres et des âmes les plus abandonnées… Il est hors de doute qu’un service éminent fut rendu au diocèse par Mgr de Mazenod, lorsqu’il attacha au sanctuaire de N.-D. de la Garde un certain nombre de ses enfants, serviteurs de Marie Immaculée, pour en être les gardiens ou plutôt les Missionnaires. » Le lien entre sanctuaire et mission reste explicite.
Plusieurs fois, comme évêque, Eugène de Mazenod a reproché à des prêtres d’avoir donné trop d’importance aux décorations, illuminations, etc. à l’autel de la Vierge, au détriment du saint Sacrement, notamment pour le mois de Marie.
« Il faudrait bien se garder d’attacher aux simples images de la Mère de Dieu une vénération dont les signes extérieurs parussent éclipser ceux que réclame la présence même de la personne de Jésus-Christ. » (Mandement de 1859). Comme on a pu le dire : Chez Eugène de Mazenod,
« la primauté de la mission salvatrice du Christ a toujours dominé et situé le rôle de la Vierge. Il n’est jamais venu à son idée de considérer Marie en dehors du mystère du Christ et de l’Eglise. » (Cf. Maurice Gilbert,
Vie Oblate 1976, p. 90).
Il faut aussi souligner d’autres aspects de la théologie des sanctuaires, vécus, sans être cependant formellement explicités. En venant en pèlerinage, le peuple chrétien se montre d’abord
acteur. C’est lui qui prend l’initiative, qui sort du cadre quotidien et qui bouge. Le geste du déplacement, de la marche et souvent de la montée (pensons à Notre-Dame de la Garde) est une mise en mouvement, personnelle et souvent collective (pèlerinages de paroisses), une première réponse en acte à un appel de la grâce, que les chapelains savent reconnaître, puis accompagnent pour l’orienter, lui donner une meilleure direction, la faire mûrir. Les pèlerins sont Eglise en marche, en mouvement, sur une route de conversion.
Une autre expression d’Eugène de Mazenod porte aussi à méditer. Les sanctuaires de Marie
« offrent ici bas une figure du céleste séjour » (
Circulaire aux curés de Marseille, 21 septembre 1843). On a pu écrire
: « Le sanctuaire est un lieu saint, un lieu privilégié de rencontre entre Dieu et les hommes, entre la Vierge Marie et les hommes. Il est, par le fait même, comme une anticipation du ciel, un point de contact entre l’Eglise militante et l’Eglise triomphante. » (Cf.
Etudes oblates 1962, p. 45, où E. Lamirande s’inspire de L. Lochet).
Arrive 1854 et tout ce qui entoure la déclaration dogmatique de l’Immaculée Conception. Les textes, mandements, prédications, sont pleins d’enthousiasme pour insister sur la gloire de Marie et, accessoirement (?), celle de la Papauté. Il en est de même des célébrations commémoratives et des monuments. Rejoignent-ils la foi du peuple chrétien ? Contribuent-ils à la construire ? Relire 150 ans plus tard ce qu’on a écrit alors, penser à la Colonne de l’Immaculée à Marseille, fait naître la question. Heureusement, la Vierge à Lourdes avec Bernadette, et pour les Oblats et d’autres à Pontmain viendra, mieux que les clercs, au secours de la foi des chrétiens ordinaires. Les Oblats n’y seront pas insensibles.
Je voudrais souligner un dernier événement majeur pour la congrégation, le premier envoi de missionnaires oblats pour le Canada en 1841. Voici un extrait de la lettre de mission, signée du Fondateur (EO 1, p. 11)
: « Vous tous, entreprenez donc votre voyage d’un cœur joyeux, empressé et de bon gré, que l’ange du Seigneur vous accompagne, et que soit votre guide et patronne la bienheureuse Vierge Marie conçue sans tache, dont vous vous souvenez que c’est un devoir spécial de votre vocation de propager en tout lieu le culte. » La mission mariale est ici explicitement rappelée. Il ne semble cependant pas qu’au Canada, les Oblats aient vécu cette mission d’une manière autre qu’en Europe.
Le Fondateur publie en 1850 une
« Instruction relative aux missions étrangères », dont il est difficile de préciser le statut et la diffusion. Des indications sont données pour les réunions du soir, lors de la visite des missionnaires disons dans les villages. Sont particulièrement visées les populations amérindiennes semi-nomades. Ces réunions du soir sont conçues à la manière des exercices des missions paroissiales en France. Le document précise le contenu des instructions (la fin de l’homme, la malice du péché, les quatre fins dernières, la vie et la passion du Christ, etc. ). Et il est ajouté :
« On n’oubliera pas non plus d’inspirer aux néophytes une dévotion tendre pour la Bienheureuse Vierge Marie et de les initier aux pratiques pieuses, en l’honneur de l’Immaculée Mère, les plus assorties à leur situation. » On parle ensuite de communion générale, de rénovation des promesses du baptême et de bénédiction du saint sacrement.
Concluons cette première étape, celle du temps de saint Eugène.
- Les Oblats ont essentiellement la mission d’appeler les hommes à se convertir à Jésus Christ. Leur travail premier est la mission paroissiale, à laquelle vient s’ajouter la mission ad gentes.
- S’ils développent la dévotion à Marie, c’est comme une des pratiques qui accompagnent et soutiennent cette conversion, à un titre analogue à la mortification et à la fréquentation des sacrements.
- On ne trouve chez eux ni spiritualité mariale spécifique, ni théologie particulière. Quoi qu’il en soit du nom, le mystère de l’Immaculée Conception ne reçoit pas de relief particulier.
- Pour les Oblats, les sanctuaires de Marie deviennent très vite des lieux majeurs, car leur travail missionnaire peut s’y exercer avec beaucoup de fruit, notamment en instruisant et en réconciliant par le sacrement de pénitence.
- On peut voir là une marque d’attention particulière au peuple chrétien, à qui revient souvent l’initiative des sanctuaires et des pèlerinages. Les Oblats ont à guider, orienter, convertir ce mouvement. Les sanctuaires ne sont jamais isolés d’une pastorale plus complète.
- Marie est essentiellement la mère, la protectrice, la mère de miséricorde, la dispensatrice des grâces de son Fils…
- Il convient, pour ne pas être trop incomplet, de citer aussi un texte (unique ?) qui aujourd’hui nous paraît bien surprenant, qui l’était sans doute moins au XIXe siècle. C’est dans une lettre du 24 juillet 1831 au p. Mille, alors chargé des scolastiques à Billens en Suisse (EO 8, 29) : « N’oublions pas la sainte Vierge notre patronne ; je la crois destinée à apaiser le courroux du ciel par sa puissante médiation auprès de son divin Fils dont les hommes ont méprisé la rédemption. Il faut obtenir par elle que Jésus-Christ prie pour ceux mêmes devenus si nombreux pour lesquels il a dit qu’il ne priait pas. Non pro mundo rogo. Cette pensée m’est familière… » Je ne connais pas d’autre texte allant dans le même sens.
De 1861 à 1962 (de la mort du Fondateur à Vatican II)
Comment présenter la centaine d’années qui sépare la mort de saint Eugène du Concile Vatican II ? Ici aussi, le risque est grand de caricaturer en ne retenant que quelques aspects du travail missionnaire de milliers d’Oblats dans les divers continents, du Grand Nord canadien à Sri Lanka, du Laos à l’Afrique du Sud, etc., ou encore, je le sens fortement, d’attribuer aux Oblats un travail qui a été réalisé en collaboration avec les diocèses, avec d’autres instituts masculins et féminins, avec des groupements de laïcs… D’autant que la période Sacré-Cœur a occupé pas mal de temps…
Je garderai la grille déjà utilisée : spiritualité, théologie, mission.
Du point de vue de la spiritualité de notre Institut, on peut relever quelques tentatives pour accentuer le caractère marial de notre Congrégation, y compris de la part de tel ou tel Supérieur général. La Congrégation n’a pas toujours suivi. Il a fallu attendre le Chapitre général de 1926, révisant les Constitutions à la suite du nouveau code de droit canonique, pour qu’on se permette d’ajouter au texte venant du Fondateur un article, introduisant pour la première fois Marie dans le chapitre des fins de l’institut.
« Notre Congrégation est placée sous le vocable et le patronage de la très sainte et immaculée Vierge Marie. En conséquence nous devons tous cultiver dans notre propre cœur et promouvoir parmi les fidèles une dévotion envers cette céleste patronne et Mère. »
Le 15 août 1951, le P. Léo Deschâtelets, Supérieur général, publie une Circulaire portant le titre
« Notre vocation et notre vie d’union intime avec Marie Immaculée ». Citons quelques trop brefs extraits :
« Le but exact de cette Circulaire est d’envisager sous son angle marial toute notre vocation de religieux prêtre et missionnaire… » « Si nous voulons vivre pleinement notre vocation d’Oblats de Marie Immaculée, cela ne signifie-t-il pas que nous devons être des consacrés à Dieu, mais totalement, par une vie mariale et un apostolat marial à la hauteur des exigences et des besoins actuels du Règne de Dieu dans un monde moderne. » « Pourquoi et comment vivre marialement cette vie d’Oblat, soit personnellement dans notre vie intérieure, soit comme missionnaire dans notre activité apostolique ? »
Les 90 pages de cette Circulaire contiennent des affirmations fortes :
« Nous sommes Oblats de Marie Immaculée. Ce n’est pas seulement une étiquette. Le nom nous définit. » « C’est par Marie Immaculée que nous serons Oblats des âmes, Oblats de Jésus-Christ, Oblats de la charité divine. » « Nous ne pouvons être de véritables Missionnaires Oblats de Marie Immaculée sans vivre pleinement avec elle (toute notre vie). Il ne s’agit pas d’avoir pour Marie Immaculée une dévotion ordinaire. Il s’agit d’une sorte d’identification à Marie Immaculée, il s’agit d’une donation de nous-mêmes à Dieu par elle et comme elle… » Beaucoup d’Oblats ont dit alors n’avoir pas retrouvé dans cette orientation mariale la tradition oblate reçue du Fondateur et de 135 ans de vie religieuse missionnaire. La Congrégation, peut-on dire, n’a pas reçu ce document, au sens où l’on parle de la réception d’un Concile. De fait on en retrouve assez peu d’échos, notamment en France.
On n’avance guère non plus sur le terrain proprement dit de l’Immaculée Conception. Ce privilège est affirmé avec force, mais peu thématisé pas plus dans la prédication que dans la spiritualité. Le travail théologique des Oblats, au niveau universitaire, apparaît aujourd’hui très décevant et ne pouvait guère appuyer un élan spirituel et pastoral renouvelé. Etait-ce mieux chez d’autres ? Un thème est parfois rappelé, qui aurait pu être davantage creusé et partagé :
« Marie Mère de miséricorde ». Il pourrait être au cœur de la mission, à condition que Dieu aussi soit le Père des miséricordes et pas seulement le juge sévère. La prédication a parfois, souvent peut-être, manqué de mesure sur ce point.
Par contre, ces cent années, 1860-1960, sont la grande période d’expansion missionnaire, dans laquelle Marie a toute sa place. Qu’il s’agisse des pays d’ancienne chrétienté, qu’il s’agisse des pays de mission, Marie est partout présente dans l’activité missionnaire des Oblats.
En France, jusqu’aux expulsions, puis de nouveau après 1930, là où c’est possible, la prédication des missions fait sa place à Marie. C’est surtout autour des sanctuaires qui leur sont confiés que les Oblats annoncent Marie et développent sa dévotion. Quelques lieux, parmi d’autres : Notre-Dame de Sion, près de Nancy, la
Colline inspirée de Barrès, haut lieu de la Lorraine divisée après 1871, puis réunie en 1918 et 1945. Les pèlerins se comptent par dizaines de milliers. Le Comité français des Congrès marials y organisa celui de 1933. La messe du congrès, célébrée par le Nonce, réunit 40 000 personnes. Notre-Dame de la Garde, que les Oblats continuent à desservir à Marseille jusqu’aux expulsions. Notre-Dame de Pontmain, confiée aux Oblats par l’évêque de Laval immédiatement après les apparitions de 1871 (un des voyants, Joseph Barbedette (1860-1930), devint oblat). Et un certain nombre d’autres : Bon-Secours, Talence, Cléry, Arcachon, Neunkirch, Peyragude, Cotignac, Benoîte-Vaux, Neuvizy... sans oublier la grotte de Lourdes à Mons-en-Baroeul. Beaucoup de ces lieux sont d’initiative populaire. Mais les Oblats y sont totalement engagés. Comme au temps du Fondateur, ce sont des lieux où un culte est rendu à Marie, où est annoncée la Bonne Nouvelle du salut et où ce salut est célébré, avec une grande place donnée à la réconciliation sacramentelle… Dans plusieurs cas, Sion en tête, des retraites spirituelles sont organisées auprès des sanctuaires.
Significative aussi, la part prise par les Oblats dans l’immédiat après-guerre à la prédication du Grand Retour, qu’on a pu appeler
« la plus grande aventure mariale du siècle ».Des recherches seraient à faire sur le rôle joué par les éditions du Chalet. Plusieurs cantiques de Jean Servel font partie du fonds commun des assemblées chrétiennes de France. Ainsi, entre autres,
« O croix dressée sur le monde », ou
« Gloire au Christ, parole éternelle du Dieu vivant ». De ceux qui ont été retenus, un seul est un cantique à Marie :
« Toute la famille humaine se rassemble près de toi » (cote V 11).
Le même travail marial s’accomplit dans d’autres pays chrétiens. Je mentionnerai quelques exemples. Les Oblats sont à l’origine des premiers pèlerinages anglo-irlandais à Lourdes, dès 1883. Au Canada, ils ont reçu en 1902 la charge du sanctuaire national de Notre-Dame du Cap. Aux Etats-Unis, Our Lady of the Snows, en Illinois, qui fait un peu fonction de sanctuaire national, est dû à l’initiative oblate. En Italie, c’est le sanctuaire du Cœur Immaculé de Marie à Pescara…
Ce mouvement se présente un peu différemment dans les pays dits de mission. Combien de missions placées sous le patronage de Marie, dans le Grand Nord canadien, à Sri Lanka, en Afrique du Sud, souvent aussi pour prendre des distances par rapport à l’évangélisation conduite par les protestants. Combien de sanctuaires locaux, de pèlerinages, de neuvaines… ? Combien de « grottes de Lourdes » construites aux quatre coins du monde ?
Comme Notre-Dame de Lourdes, Notre-Dame de Sion ou Notre-Dame de Pontmain ont leurs filiales dans les pays de mission. La Côte nord du Canada, vers l’Océan glacial et le Mackenzie, dans les années 30, égrène l’Immaculée Conception à Aklavik, Notre-Dame de Grâces à Tuktuyaktuk, Notre-Dame des Anges à Stanton, Notre-Dame de Lourdes à Paulaturk, Notre-Dame de Lumières à Coppermine, Notre-Dame de Sion à Burnside, et enfin le Christ-Roi à Minto Inlet. Avec une certaine réciprocité entre pays de mission et pays chrétien. Pour le couronnement de Notre-Dame de Sion (en Lorraine) en 1873, les Zoulous d’Afrique du Sud offrent un diamant qui est serti avec les autres dans la couronne de la Vierge. Il faudrait faire la théologie de ces échanges dans la dévotion à Marie, de cette communion en Eglise…
De très nombreux textes, des prières expriment que Marie est la mère des missionnaires, la mère des Oblats. Faut-il rappeler l’importance de Notre-Dame de la Garde, pour les missionnaires, hommes et femmes, de tous instituts quittant le port de Marseille ? Un des chants traditionnels, lors des célébrations de départs missionnaires oblats, est celui-ci :
« O bonne mère du missionnaire / Sois son appui, veille sur lui / Sur terre il n’a plus de patrie / la croix lui reste et toi Marie. » Tout laisse penser qu’il est d’origine oblate.
Je retiens une première anecdote, racontée dans
Aux glaces polaires du p. Duchaussois, p. 57. Elle est arrivée au futur Mgr Grandin. Après une instruction qui l’avait touché, un
sauvage du Lac Athabaska au Canada vint trouver le missionnaire:
« Père, je comprends maintenant que les femmes ont une âme tout comme nous. – Mais je n’en ai pas parlé. – Oh ! Père, lorsque tu nous as dit que le Fils de Dieu avait pris une mère parmi les femmes de la terre, j’ai bien compris que les femmes ont une âme et un ciel, comme les hommes. » Faut-il dire Marie et la promotion féminine, en même temps que Marie témoin assuré de l’incarnation ?
Au Basutoland, maintenant Lesotho, au sud de l’Afrique, le bienheureux Joseph Gérard (1831-1914), considéré comme le fondateur de l’Eglise dans ce pays, appelle
« Village de la Mère de Jésus, Motse oa ‘m’a Jesu » la terre qui lui est concédée pour la première mission, ici aussi dans un contexte de concurrence avec la mission protestante. Précédemment, la mission qu’il fondait chez les Zoulous (les Cafres, disait-on alors), était non sans raison confiée à Notre-Dame des Sept Douleurs, et la première prière à Marie fut le
Stabat Mater. A la mission Ste-Monique, il construit une petite grotte de Lourdes, où les enfants de l’école viennent prier brièvement chaque jour leur bonne Mère du Ciel. Voici le témoignage d’une femme du Lesotho, au procès de béatification :
« Son amour pour la Sainte Vierge apparaissait dans le respect avec lequel il parlait d’elle. Dans ses sermons il nous enseignait d’aimer la Sainte Vierge, de dire notre chapelet tous les jours et de nous mettre sous sa protection. Quand il allait à cheval, il tenait les rênes de la main gauche et son chapelet de la main droite, et le cheval allait très tranquillement. »
Voici enfin le projet de Mgr Bonjean, alors vicaire apostolique de Jaffna à Ceylan. On est en 1872. Le sanctuaire de Madhu datait de la période de la persécution protestante des 17-18
ème siècles, il avait été ensuite plus ou moins délaissé
. « Quelle tristesse assaillit mon âme quand je vis pour la première fois ce célèbre et misérable sanctuaire ! J’affirmai qu’il ne serait pas dit qu’un évêque Oblat de Marie laisserait le sanctuaire de sa Mère immaculée dans cet état honteux. Je pris la résolution d’élever dans ces bois sauvages un beau temple à Marie, qui serait une prédication muette aux nombreux pèlerins mahométans, hindous et bouddhistes. » (Cf. Jonquet,
Mgr Bonjean, I, p. 241). Et il lança la construction d’un nouveau sanctuaire. 135 ans après, dans une île déchirée et meurtrie par la guerre civile, Madhu joue tant bien que mal ce rôle de refuge, d’oasis de prière, pour les chrétiens et les non-chrétiens des divers partis.
La Croix du 3 avril 2007 y a consacré un long article.
« Là-bas, dans l’enceinte de ce sanctuaire catholique, 11000 Tamouls sont réfugiés… Car Notre-Dame-de-Madhu, basilique de bleu et de blanc au milieu de la jungle, est vénérée par toutes les religions depuis quatre siècles. » Eglises d’Asie du 16 juin 2007 l’exprime aussi, surtout pour les grandes fêtes comme le 15 août ou la fête de Notre-Dame de Madhu le 2 juillet.
« Il n’est pas rare que des foules de 200 000 personnes s’y rassemblent à ces occasions, venues aussi bien des régions tamoules que cinghalaises du pays et issues des religions chrétienne, musulmane, hindoue et bouddhiste. » « Prédication muette aux nombreux pèlerins… » souhaitait Mgr Bonjean.
Quelques notes pour l’après-Concile
Théologie mariale de la part des Oblats ? peu de choses. Le seul théologien oblat qui a fait, beaucoup, malheureusement trop, parler de lui, a été excommunié en 1997 par Jean-Paul II à cause de son livre
« Marie et la libération humaine ». Il est permis d’y voir une suite douloureuse de manques de jugement et de fautes de comportement… L’Immaculée Conception, Mère de miséricorde, n’était guère présente dans ces controverses… L’année suivante, il était relevé de l’excommunication. Je ne pouvais pas passer ce fait sous silence. Je préfère souligner qu’avec toute l’Eglise, les Oblats en viennent enfin à une théologie mariale enracinée dans l’Ecriture et particulièrement dans les évangiles de l’enfance. Il faut signaler en ce sens Marius Bobichon et les deux tomes de
« Marie dans la nouvelle liturgie de la parole », aux éditions du Chalet en 1971 et 1975.
Spiritualité. Les Constitutions oblates, rédigées après le Concile, (l’édition définitive est de 1980-1982), donnent beaucoup plus de place à Marie Immaculée… On arrive enfin à des formulations traduisant l’expérience spirituelle et missionnaire des Oblats. Voici l’article 10, dans le chapitre :
Mission de la Congrégation.
« Marie Immaculée est la patronne de la Congrégation. Docile à l’Esprit, elle s’est entièrement consacrée, comme humble servante, à la personne et à l’oeuvre du Sauveur. Dans la Vierge attentive à recevoir le Christ pour le donner au monde dont il est l’espérance, les Oblats reconnaissent le modèle de la foi de l’Eglise et de leur propre foi.
Ils la regarderont toujours comme leur Mère. C’est dans une grande intimité avec elle, Mère de miséricorde, qu’ils vivront leurs souffrances et leurs joies de missionnaires. Partout où les conduira leur ministère, ils chercheront à promouvoir une dévotion authentique envers la Vierge Immaculée, préfiguration de la victoire finale de Dieu sur tout mal. »
L’article 46, sur la formation de l’Oblat
« homme apostolique », précise :
« un homme qui, s’inspirant de l’exemple de Marie, vive son engagement envers Jésus Christ dans une fidélité toujours inventive et se mette totalement au service de l’Eglise et du Royaume. »
Au début de 2007, notre Supérieur général, le p. Guillermo Steckling, écrivait dans le même sens dans une lettre à tous les Oblats
: « Nous aurions pu nous appeler Salvatoriens ». Nous avons reçu le nom d’
Oblats de Marie Immaculée.
« Ce nom, lu dans une perspective salvatorienne, confère une nouvelle profondeur à notre spiritualité, car Marie, plus que quiconque, nous révèle la plénitude à laquelle le salut peut conduire un être humain. La sainteté portée à son comble en Marie sans tache, ni ride, ni rien de semblable nous dit qu’il est possible de surmonter la faute et le péché, la misère et la mort. Un Missionnaire Oblat ou un Associé, ayant rencontré le Sauveur comme Eugène le rencontra le vendredi saint, ne doute pas que tout puisse changer. Ainsi ces missionnaires ne viseront pas seulement à un salut à moitié, mais à la sainteté, pour eux-mêmes et pour les autres et en particulier pour les plus délaissés. Marie Immaculée nous montre que la plénitude du salut est possible. Marie complète bien notre nom d’Oblats… Nous sommes encouragés par la sainteté lumineuse de Marie. Elle nous guidera, et avec nous beaucoup d’autres, vers une rencontre avec le seul qui peut nous sauver, le Christ crucifié… »
Quant à la manière dont Marie est annoncée par les Oblats aujourd’hui, comment choisir quelques faits, et passer sous silence de multiples autres ?
Il m’a été communiqué la liste des paroisses sous le patronage de Marie dans le diocèse de Durban, en Afrique du Sud. On en mentionne seize, en précisant que pratiquement toutes sont de fondation oblate : Notre-Dame Etoile de la mer, Notre Dame de Fatima, Notre-Dame du Sacré-Cœur… Il en est de même des établissements catholiques d’enseignement… Ainsi qu’un sanctuaire avec des fêtes le dernier week-end de mai. L’Immaculée Conception est par ailleurs la patronne du diocèse, lui aussi de fondation oblate.
Les écoles catholiques du sud des Philippines, en pays d’Islam, fréquentées aussi par de nombreux musulmans, sont toutes des Ecoles Notre Dame, de fondation oblate. Parmi les sanctuaires récemment fondés, je mentionne Kaliori, dans l’île de Java en Indonésie, Temento en Casamance (Sénégal), Figuil au Nord-Cameroun… Le 1
er janvier cette année, fête de Ste Marie Mère de Dieu, à Figuil s’étaient rassemblés entre 12 et 15 000 fidèles, dont plus de 200 malades. Des pèlerins arrivent dès la veille, par groupes de 20 à 100, ayant parcouru à pied parfois 30 parfois 50 km… Thème du pèlerinage cette année :
« Marie Mère de Dieu, tendresse des malades ».
Significatif, le thème de l’Année pastorale 2005 à Notre-Dame du Cap, au Québec :
« Jésus, notre chemin ». Significatif qu’à la demande de l’évêque de Tarbes et Lourdes, une communauté oblate très internationale, multilingue, ait été fondée à Lourdes. Depuis plus de 20 ans, elle assume la charge et du Service-Jeunes et du Service international. En présentant leur travail, nos collègues parlent d’une
« Mission populaire permanente »…Trois réflexions, en finale, qui restent évidemment ouvertes, et à compléter par chacun.
Madeleine Delbrêl notait :
« L’Eglise n’est pas un manuel de savoir-faire. Tout en elle est vie dans des hommes vivants. » (
Ville marxiste, terre de mission, p. 93 ou p. 63, selon les éditions). C’est à la lumière de cette remarque qu’on est invité à lire tout travail missionnaire, c’est le vécu, la
praxis mariale des Oblats qui principalement est annonce missionnaire.
A propos des JMJ de Cologne, le Cardinal Danneels disait :
« Allumons le feu et les jeunes viendront s’y chauffer. » (Interview dans
La Croix, 5.8.2005). A Marseille, saint Eugène de Mazenod, avec d’autres, a rallumé le feu de Notre-Dame de la Garde. Combien de gens, chrétiens ou non, viennent s’y chauffer ! Mgr Bonjean, à Ceylan, faisait la même remarque.
« Je pris la résolution d’élever dans ces bois sauvages un beau temple à Marie, qui serait une prédication muette aux nombreux pèlerins mahométans, hindous et bouddhistes. » Et il ralluma le feu marial à Madhu, foyer toujours allumé depuis 135 ans.
Dans le document final de l’Assemblée du CELAM à Puebla en 1979, les évêques écrivaient :
« Marie doit plus que jamais servir de pédagogie pour annoncer l’Evangile aux hommes d’aujourd’hui. » Cette réflexion est reprise dans le livre «
Entretien sur la foi » (p. 123) d’un certain Joseph Ratzinger… Marie, pédagogie de l’annonce de l’Evangile, chemin vers Jésus… Là est la place que nous cherchons à lui faire dans l’annonce missionnaire.
Marseille, mai 2007
Michel Courvoisier omi
Bibliographie
EO :
Ecrits Oblats, 1
ère série, Rome 1977-2003, 22 volumes d’Ecrits d’Eugène de Mazenod
J. LEFLON :
Eugène de Mazenod, 3 tomes, Paris 1957-1965
E. LAMIRANDE : La Desserte des sanctuaires de la T.S. Vierge, Ottawa,
Etudes oblates 1958, pp. 97-118
E. LAMIRANDE : L’Apostolat des pèlerinages et Mgr de Mazenod, Ottawa,
Etudes oblates 1962, pp. 41-56
P. DUCHAUSSOIS :
Aux glaces polaires, Paris 1922
E. JONQUET :
Mgr Bonjean, Nîmes 1910
Le bx Joseph GERARD, Ecrits divers, Collection
Ecrits oblats, 2
ème série, vol. 4, Rome 1988
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