Préface
P. Oswald Firth, OMI, Assistant général, titulaire du Portefeuille de la Mission du Gouvernement central, a demandé à plusieurs Oblats d’écrire de courts articles sur le sujet « Mission » à partir de leurs propres expériences et expertise. Ce numéro de documentation OMI est le premier d’une série qui paraîtra dans les prochains mois.
L’auteur de cet essai est
P. David N. Power, OMI né à Dublin, Irlande, en 1932, professeur émérite de l’Ecole de théologie et d’Etudes religieuses de l’Université Catholique d’Amérique, où il a enseigné de 1977 à 2000. Auparavant, il a enseigné au scolasticat oblat à Piltown de 1957 à 1971 ainsi qu’au Milltown Institute of Philosophy and Theology à Dublin et au grand séminaire de Maynouth. Pendant ces années, il était supérieur du scolasticat oblat, il a été ensuite supérieur du Scolasticat International de Rome. Etant à Rome, il a enseigné à l’Université grégorienne et à l’Université St Thomas d’Aquin. Il a été professeur invité à l’Université St Paul d’Ottawa, à l’Oblate School of Theology à San Antonio (USA), à St John’s University de Collegeville (USA) et aux grands séminaires de Tahiti et d’Afrique du Sud (Cedara). Deux fois, il a été professeur invité à Manille à l’East Asian Pastoral Institute aux Philippines. Il a aussi enseigné en Australie, au Pakistan, et au Sri Lanka. Il est l’auteur de 12 livres et a prêché des retraites au Sri Lanka, Pakistan, Philippines, Etats Unis, Japon, Afrique du Sud et dans la Province anglo-irlandaise.
Cet essai a été écrit avant la publication de ‘Caritas in Veritate’ de Benoît XVI.
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La mission aujourd’hui, confrontée au sécularisme,
à la globalisation et aux défis venant de l’environnement
Par David N. Power, OMI
Comme chacun des sujets de cette liste demanderait une analyse longue et précise, l’objectif limité de ce document est de suggérer comment ils sont reliés et constituent ensemble le contexte d’un renouveau de la mission oblate : annoncer la Bonne nouvelle aux pauvres. Nous y traiterons d’abord de la globalisation, ensuite de l’écologie et en relation à ces deux points, du sécularisme. Quelques pensées sur la mission concluront cet article.
Globalisation
Le terme “globalisation”, dans son usage courant, signifie que les personnes, à travers le globe sont reliées et interactives, à cause du développement de l’économie, la politique, les progrès technologiques, la santé, l’éducation, la technologie des communications et bien sûr, les loisirs. Il s’agit d’expérimenter le monde d’une façon essentiellement nouvelle, ce qui affecte la manière dont les gens, comme société, vivent l’espace et le temps qui passe, car la globalisation de l’économie et des formes de gouvernance entraînent aussi la globalisation de la culture. Depuis la colonisation d’autres continents par les Européens et depuis que le commerce a pris un caractère global, de nouvelles formes de marché et de nouvelles technologies ont servi à rapprocher les peuples et à les rendre toujours plus interdépendants. Ce qui marque la phase actuelle de globalisation c’est sa rapidité et le rôle accru et varié des corps internationaux dans la production, le commerce, la gouvernance et la promotion de l’expression esthétique.
Comme certaines politiques économiques sont cause de pauvreté croissante et sont néfastes aux façons de vivre traditionnelles, on dit parfois que la globalisation, sous certain rapport, ne fait que poursuivre les politiques libérales ou néolibérales en économie et que par conséquent elle prolonge la domination croissante des formes occidentales de l’économie politique et de la vie culturelle. Ceux qui contestent ces politiques s’appellent « anti-global ». Cependant pour avoir une meilleure idée de comment les échanges globaux affectent la vie des gens, c’est utile de ne pas se concentrer uniquement sur l’économie et de voir comment tout ceci joue dans certains domaines de la vie.
Il est bien sûr question tout d’abord des échanges économiques qui favorisent les grandes puissances économiques au détriment des autres. Le commerce et la production affectant les relations entre les pays négligent souvent les intérêts et la conduite des individus et des communautés locales, au bénéfice des plus forts. Avec l’effondrement actuel des économies au plan mondial, il y a peut-être une ouverture vers cet autre modèle qu’ont toujours proposé ceux qui se préoccupent de voir la pauvreté se répandre dans le monde. Ils cherchent un modèle pour les échanges internationaux qui offre la possibilité d’un développement durable, au niveau des communautés locales, développement tant rural qu’urbain et qui soit en faveur des populations les plus pauvres. Ceci coïncide avec les observations des sociologues et des anthropologues, disant que l’adaptation à des réalités nouvelles et leur intégration à des modes d’existence durables, doivent intervenir à l’intérieur de communautés locales vivantes, surtout si l’on veut que cette adaptation devienne un phénomène culturel et interculturel qui apporte une vraie amélioration. Les motifs pour changer et les motifs pour accepter la nouveauté viennent des cultures traditionnelles et des soucis de la vie quotidienne, même quand le global se croise avec le local. Si l’on accepte ce modèle on évitera de donner la primauté aux pressions du marché, dans le présupposé d’une « économie mondiale ». Ceci peut ralentir quelques idéaux de progrès et inviter à s’ouvrir à des façons moins riches – bien que non appauvries – de vivre, ce qui sera difficilement acceptable par les nations riches.
La globalisation affecte également la politique et les institutions du pouvoir. Cela peut être vu comme une tentative pour imposer le style occidental aux autres nations, si bien qu’en ce domaine aussi, un autre paradigme est à notre disposition. Dans un monde où une nation prise comme unité coupée du reste n’est pas viable et où l’interaction et la formulation d’intérêts communs sont vitales, ce nouveau paradigme tente de formuler des buts généraux et des modes d’action sur lesquels tout le monde peut être d’accord. Le but visé est de bâtir un monde d’échanges, de commerce et de relations internationales, construit sur un modèle de gouvernement local et de développement durable que les interactions globales favoriseraient au lieu de les empêcher. Les corps internationaux de diverses sortes peuvent favoriser ces échanges et ces interactions, mais le succès doit être mesuré en termes d’entreprises qui construisent des communautés, s’enrichissant mutuellement. Ceci n’est possible que par un échange entre les peuples, dans l’exercice de certaines vertus civiques, vitales pour la création d’une communauté mondiale. Ces vertus semblent avoir souvent, par nécessité, une qualité spirituelle qui peut cependant être définie. Elles comportent l’ouverture aux autres, des attitudes et des actions désintéressées, une promptitude à permettre le pluralisme religieux et la liberté, bref, tout ce qui cultive le sens d’une humanité commune.
Un autre domaine de globalisation, objet de toutes les attentions, est la communication, rendue possible par les nouvelles technologies et la facilité des voyages. On se plaint souvent, en disant qu’ainsi, les modes occidentales de communication se répandent et avec elles, les valeurs qui déclassent les modes traditionnels d’expression et d’échange. Quelques études concrètes montrent qu’une autre communication et d’autres technologies sont possibles et qu’elles permettent ce qui s’appelle le « tuilage d’identités ». C’est-à-dire que les peuples et les cultures peuvent conserver leurs traditions, tout en s’ouvrant davantage et en se disposant à entrer en relation avec les autres, grâce à leurs capacités d’ajustements ou d’adaptation. Quelques unes des études les plus utiles à ce sujet, se concentrent sur les populations immigrées qui s’installent dans de nouveaux endroits et peu à peu font partie de la communauté locale, tout en gardant leurs propres façons de parler, d’agir, de se souvenir et de communiquer, même lorsqu’elles s’ajustent aux nouvelles situations. Ce que l’on apprend auprès de telles communautés, fournit des instruments pour comprendre comment les peuples peuvent assimiler la nouveauté grâce à leur ouverture à d’autres cultures, sans abandonner la leur, que cela se passe dans leur pays ou à l’étranger. Ceci aide à saisir ce qui se passe à une échelle d’échanges plus vastes, entre peuples ; échanges souvent promus et organisés par des organismes qui engagent les gens à travers les frontières, dans une variété de domaines tels que la santé, l’éducation, les championnats de sports, les jeux, par exemple les échecs, et les arts. Ceci peut évidemment être commercialisé mais peut aussi permettre à des peuples de nouer des échanges enrichissants qui favorisent la croissance culturelle et l’assimilation de nouvelles rencontres, sans détruire aucune identité culturelle particulière.
Cette globalisation multiforme affecte aussi la place de la religion dans la société, car aucun idéal, aucune pratique religieuse ne peuvent l’ignorer. La résistance religieuse de certains peut bien agir comme une force d’opposition à des échanges globalisés, qui lui sont même hostiles. La promptitude au dialogue et à la coopération par ailleurs peut permettre à des membres de religions différentes de travailler ensemble et avec le reste de la société, dans la construction d’une communauté humaine universelle, à condition qu’aucune religion n’aspire à un rôle dominant dans la structuration de l’avenir ou dans la conduite commune de la vie et de l’action. Les tenants d’une religion, doivent être capables de travailler entre eux et avec les autres, pour le bien commun, dans une société pluraliste. Même si la religion ne contrôle pas la vie publique, elle ne doit pas nécessairement être privatisée. Les corps religieux, inspirés par leurs propres motivations, recherchent en principe un consensus sur les buts et la manière de promouvoir le partage, y compris avec les non croyants. Il est nécessaire qu’il y ait un espace pour les pratiques religieuses et une certaine autonomie pour les groupes religieux, afin qu’ils puissent travailler à l’intérieur de la réalité sociale plus grande, et lui offrir leur contribution, mais cela doit s’harmoniser avec les aspirations et les activités communes.
Pour l’instant, les Eglises et les autres confessions, sont encore en train d’élaborer la nature et le mode de leur participation à la vie publique globalisée; comment cela se réfère-t-il au sécularisme, nous le verrons plus loin. L’Eglise catholique s’oppose à deux espèces de globalisation, tout en favorisant quelques types d’échanges globalisés. Une chose à laquelle elle s’oppose est l’ensemble des politiques économiques qui nourrissent la paupérisation des peuples et refusent l’autonomie des intérêts et actions. L’autre est la globalisation des intérêts et des pratiques de consommation qu’elle dénonce fréquemment. En même temps, elle essaie de promouvoir une interaction globale, basée sur une vue idéale d’un monde alternatif, guidé par une solidarité globale, intéressé par le développement des pauvres, un monde qui souscrit à la liberté religieuse, tout en favorisant les valeurs spirituelles, un monde qui réclame le respect pour la création, tout en pensant à l’avenir de la communauté humaine universelle, construite sur un souci commun pour la justice et la paix. En tout ceci, ce monde suggère que la relation au transcendant ne peut pas être éliminée.
Recherchant leur place dans cette communauté globale, les religions organisées, et en particulier les Eglises chrétiennes, agissent de deux façons. Elles parlent de façon publique et globale dans ces lieux où l’avenir se construit, mais en même temps elles mettent un fort accent sur le service des communautés locales. Au milieu des changements, les Eglises, et l’Eglise catholique en particulier, luttent pour combiner les implications d’une vie de foi avec une option particulière pour les pauvres, attentives à ceux qui souffrent des effets négatifs de certaines formes de globalisation. Intégrer tout ce qui est humain dans le Royaume de Dieu, signifie respecter les peuples et les héritages culturels, en leur permettant de trouver leur rythme particulier de croissance, à l’intérieur d’un monde globalement interactif. Dans le débat entre les défenseurs d’une démocratie globale qui est plus ou moins norme universelle et les gens orientés sur la communauté, plus sensibles au bien-être local, les missionnaires chrétiens d’aujourd’hui tendent à se mettre du côté des avocats du développement communautaire et des communautés, sans supprimer la possibilité d’interagir dans la diversité. Comme il a été dit, ceci va peut-être freiner quelques idéaux de progrès, mais il répond aux intérêts de l’option de l’Eglise pour les pauvres.
Cette problématique se répercute naturellement sur la vie et le ministère des communautés religieuses internationales, à l’intérieur de l’Eglise catholique. Pour montrer comment les questions de globalisation sont traitées on peut prendre l’exemple des décrets pris par la congrégation générale des Jésuites en janvier 2009. Suite à un rapport préparé par un groupe de travail, la globalisation était décrite comme « un phénomène qui multiplie les interconnexions dans le monde. De quelque manière, il s’agit d’une ancienne dynamique et d’autre part le phénomène est nouveau. La globalisation n’est pas seulement un phénomène économique, elle affecte aussi la vie culturelle, politique, sociale, légale et religieuse ». Le rapport notait que les réactions dépendent de ce que sont les expériences présentes de différentes populations, si bien qu’il n’est pas possible de juger ce qui arrive. Il notait aussi le risque d’homogénéiser les peuples et les cultures à cause de l’expansion et l’usage des moyens de communication et surtout à cause de la généralisation des mêmes idéaux politiques et culturels.
Perspective écologique
Les questions récentes autour de la globalisation semblent se cristalliser autour de ses conséquences sur l’écologie et l’environnement. L’ensemble du monde semble être devenu de plus en plus conscient du péril écologique, tant actuel qu’à venir, et ceci va de pair avec le déclin des économies qui privilégient les plus prospères. Les tenants d’un crédo séculier comme les esprits religieux voient que pour élaborer notre destinée historique, nous avons besoin de développer une conscience écologique, de renforcer le respect de la nature, et la conscience que l’humanité ne fait qu’un avec l’ensemble de la création. Promouvoir la justice, la paix et le souci de l’environnement vont ensemble.
Les péchés contre l’environnement vont de pair avec les péchés, y compris structurels, contre les humains, et les pratiques injustes blessent l’humanité et la nature. La gravité de l’impact des échanges, de la production et du commerce, sur l’environnement se montre dans l’impact sur les peuples et les cultures. Les changements écologiques affectent les relations traditionnelles avec l’environnement et le groupe social, lesquelles se sont constituées avec le temps autour de la vie commune, la production, le commerce et les festivités. Le changement s’oppose aux populations physiquement et culturellement, quand des puissances politiques et économiques, nationales ou transnationales et culturellement insensibles, déterminent les choses suivantes : l’usage qui doit être fait des ressources naturelles, où les gens doivent-ils vivre, comment ils doivent vivre, quelles relations ils doivent établir entre eux à l’intérieur des frontières et hors frontières. A l’échelle ‘glocale’ (c’est-à-dire dans les situations locales marquées par les effets de la globalisation) ceci produit des résultats lamentables.
Il semble y avoir actuellement un consensus universel sur le besoin de voir l’intégrité de la création comme « aventure historique » dans laquelle l’énergie humaine et cosmique, et l’énergie terrestre se combinent. Le rôle du christianisme dans cette aventure est ambigu. La sorte de dualisme inhérente à l’histoire du christianisme a contribué à négliger l’environnement et la nature ; et les missionnaires européens ont contribué à changer les relations traditionnelles à l’espace et aux coutumes. Même le développement des liturgies se révèle insensible à l’écologie et à la culture. En réponse à cette histoire, il y a un appel à revisiter la vision biblique de la création dans la Genèse, dans laquelle les humains et la nature se correspondent dans le dessein de Dieu et dans les livres prophétiques qui inter-tissent la destinée humaine et la terre, à tel point que l’une ne peut pas être restaurée sans l’autre. En reprenant de fréquentes réévaluations, Rosemary Radford Ruether écrit : « Dans la perspective biblique, le viol de la nature et l’exploitation des gens en société sont compris comme faisant partie d’une même réalité, provoquant des désastre dans les deux domaines. Nous ne regardons pas vers le passé mais vers un nouvel avenir, amenés par la repentance sociale et la conversion au commandement divin de telle sorte que l’alliance de création puisse être rectifiée et le Shalom de Dieu, rendu à la nature et à la société. » (
Readings in Ecology and Feminist Theology, 81).
En théorie et en pratique, le sujet se traite de différentes manières. Assez souvent, le souci écologique est lié aux questions de justice sociale, soulignant ainsi le mal fait aux pauvres par l’exploitation des ressources naturelles. Ceci est illustré par quelques résolutions des conférences du Conseil œcuménique des Eglises. L’assemblée du COE à Seoul en 1990 a traité de la relation entre la justice socioéconomique et l’écologie durable, et à Harare en 1998, un sous-groupe a fait la liste des abus dans l’usage des ressources pour le marché globalisé, montrant comment cela nuisait aux pauvres et au monde. Cette liste inclut le transport en bateau des déchets toxiques des nations industrialisées vers le sud, les accords de marché libre qui favorisent les nations riches, la destruction de la forêt tropicale et les pressions faites sur les nations pauvres, pour mettre en place des politiques agraires négatives qui orientent la production, afin de rembourser la dette nationale. (pour plus de renseignements cf.
www.wcc-coe.org).
Des préoccupations semblables se retrouvent dans l’enseignement catholique. Dans son message pour la Journée de la Paix en 2007, le Pape Benoît XVI a dit : « Le lien étroit entre ces deux écologies (humaine et sociale) peut bien se comprendre à partir des problèmes croissants de l’approvisionnement en énergies… Combien d’injustices et de conflits ne sont-ils pas provoqués par la course aux sources d’énergies ?... le respect de la nature est intimement lié au besoin d’établir, entre individus et entre nations, des relations respectueuses de la dignité des personnes et capables de satisfaire leurs besoins authentiques… en effet, si le développement était limité à l’aspect technico-économique, mettant dans l’ombre la dimension moralo-religieuse, ce ne serait pas un développement intégralement humain, mais une déformation unilatérale qui finirait par donner libre cours aux capacités destructrices de l’homme. » Revenant sur ces thèmes dans son message pour la Journée Mondiale de la Paix 2009, Benoît XVI suggérait de lutter contre la pauvreté ; la communauté internationale a besoin d’un nouveau modèle de développement qui ne soit pas basé sur la distribution du capital, mais sur la création d’économies durables, pour tous ceux qui vivent maintenant dans la pauvreté. Tout en s’adressant à tout le monde, il visait particulièrement les croyants chrétiens, pour que dans la foi en Jésus Christ ils trouvent les motivations qui les inspirent à agir dans cette direction. (Ces documents sont accessibles in diverses langues à l’adresse
www.vatican.va).
Partie intégrale du souci pour la justice, il y a la promotion d’approches culturellement sensibles aux questions écologiques qui favorisent les changements dans la façon qu’a l’humanité de percevoir la nature. L’univers et toutes choses crées sont sacrées et doivent être envisagées en appréciant leurs merveilles et leur beauté et leur propre vie intérieure et leur développement, plutôt que d’être exploitées au service de l’humanité. En partant des plantations d’arbres et des jardins, en passant par les régimes végétariens, les méditations dans la nature, pour arriver à la pratique de rituels centrés sur la terre, les gens essaient de développer dans leur âme des dispositions plus écologiquement compatibles. L’effet de ceci est parfois doublé d’un ré-enchantement de l’univers succédant à une période où il était commun de penser au monde en termes de recherche humaine ou d’exploitation.
Plus pertinent pour les continents pauvres, est le lien entre l’exploitation écologique et les changements dans la situation vitale des pauvres qui affectent leur bien-être et leur identité culturelle. C’est à partir de leur lieu de vie que les gens doivent gérer les déséquilibres des cultures indigènes, quand la relation au lieu, à l’espace, aux ancêtres, aux traditions de la terre et des générations sont dérangées. Il faut donc être au courant de la relation actuelle que des populations entretiennent avec la nature et de ce que cela signifie pour leurs identités culturelles. L’exploitation de l’homme et l’exploitation de la nature vont de pair ; il y a donc nécessité de revisiter la possibilité de politiques économiques qui rendent viable la vie rurale et urbaine, de telle sorte que la relation à la nature et à ses ressources et son incidence sur l’identité culturelle soient intégrées dans un processus de développement. La vision cosmique des traditions et des religions asiatiques et africaines, ainsi que des populations indigènes des Amériques, incarnent un savoir et une spiritualité où les droits humains, les responsabilités et les réalités communautaires sont intimement liées à la relation à l’environnement. L’être en relation et l’entraide mutuelle expriment comment les réalités humaines et écologiques s’entrecroisent. Les peuples ne divisent pas leurs mondes entre sacrés et profanes, mais pensent, sentent et agissent comme communautés, « moulées » dans leur lieu d’habitation. Comprendre et intégrer les pratiques rituelles traditionnelles est vital pour apprécier comment les gens se rapportent à l’environnement ; mais c’est à eux de nous le dire, et avec leurs mots, car nous ne pouvons pas nous fier entièrement aux études des anthropologues et des sociologues.
À une échelle plus globale, il se peut que la force qui pousse à l’avènement d’une société plus sensible à l’écologie naisse quand, dans le travail on se laisse inspirer par ces perceptions, même si ces cultures entrent dans les échanges globaux et s’ajustent aux nouveaux mouvements. Il ne s’agit pas d’être naïf quant aux cultures traditionnelles, leurs méthodes pastorales et agricoles, leurs structures interpersonnelles ou leurs rituels qui, à leur manière, peuvent être nuisibles. Il s’agit bien plus de respecter leurs perceptions de base, y compris quand ils sont invités à participer à de grands échanges et développement où les traditions peuvent être préservées, mais aussi adaptées et purifiées intérieurement, quand c’est nécessaire, et selon ce que les gens eux-mêmes perçoivent.
Avec ces perspectives écologiques en vue, face à l’exploitation désastreuse des ressources naturelles, les Evêques du CELAM, à Aparecida, en 2007, dans leur document de conclusion (n°474), recommandent une approche pastorale qui inclurait plusieurs éléments. Répandre l’Evangile du respect pour le don de la création, quant aux agents pastoraux, qu’ils soient présents parmi les populations qui, dans l’économie mondiale actuelle, sont les plus fragiles et les plus menacées par la déprédation de la terre et la distribution injuste des profits, venant de l’exploitation des ressources naturelles. Le document signale aussi l’effet que les cultures, travaillées autrement, ont sur l’environnement et l’habitat naturel (n°480). Il prône donc une recherche de modèle alternatif de développement, basé sur le respect pour l’écologie, pour la justice et la solidarité dans l’usage des ressources de la terre.
Rien de tout ceci ne signifie mépriser les bienfaits apportés par la globalisation de la communication et des économies, et par le souci pour les droits humains, mais ceci aide à les mettre au service d’une communauté humaine qui voit l’allègement de la souffrance et de la pauvreté comme la clé du vrai développement. Comme le dit le Pape Benoît XVI : « Afin d’orienter la globalisation, il faut un grand sens de la solidarité globale entre les pays riches et les pays pauvres, aussi bien qu’à l’intérieur de chaque pays, y compris les pays riches. » La solidarité globale doit comprendre la solidarité écologique, ou ce que certains nomment l’écologie sociale, qui cherche sérieusement à mettre en lumière les liens entre l’exploitation humaine, la destruction des cultures et l’exploitation des ressources naturelles.
La sécularisation et ses conséquences
On retrouve la pensée séculariste derrière bien des progrès humains, mais aussi derrière quelques unes des activités les plus délétères d’un monde globalisé, surtout celles qui affectent le développement industriel et économique. Comme la raison réclame pour elle une place dominante dans le progrès humain, on se demande si la religion a encore un rôle à jouer ou bien si ce n’est pas mieux pour les gens de travailler ensemble sur la base de la raison et de l’ingéniosité humaine.
Comme pour la globalisation, le mot “sécularisation » a plusieurs sens. On la critique parfois comme éliminant, de façon calculée, toute référence à Dieu ou à ce qui peut transcender le domaine public, ainsi que comme une certaine limitation du libre exercice de la religion ou de son enseignement. Une telle critique signifie que, dans un monde sécularisé, la personne humaine devient la seule mesure du bien et que cela conduit à une culture de l’individualisme, de l’hédonisme et du consumérisme. Il y a bien de tels signes dans le monde d’aujourd’hui, spécialement en certaines parties de l’Europe ; des dénonciations faciles peuvent cependant rendre aveugle la recherche des causes de la perte de la place de la religion, comme force dominante dans la société, ou des situations plus complexes dans lesquelles nous vivons. La déception quant à la perte d’influence de la religion dans la sphère publique et le processus graduel de sécularisation qui l’accompagne sont encore à l’œuvre aujourd’hui, dans la mise en ordre des affaires humaines, mais ce phénomène a une base historique et sociale qu’il faut comprendre.
Quand les principes des Lumières prirent le relai de la religion dans la mise en ordre de la société, c’était pour faire face aux forces religieuses qui semblaient aller contre le vrai progrès humain. Dans les 17
e et 18
e siècles en Europe, certains recherchaient des chemins pour mettre fin à la guerre, alimentée par l’opposition entre membres des Eglises chrétiennes et pour ouvrir de nouvelles avenues de recherche et de pensée qui ne soient pas gênées par les dictats religieux. Quand les courants modernes, invoquant la participation populaire au gouvernement, se développaient, les autorités de l’Eglise catholique se sont souvent opposées au développement de sociétés démocratiques et de gouvernements participatifs, voyant cela comme opposé au rôle de la religion et de ses idéaux d’une société humaine, soumise à Dieu. Elles sont aussi entrées dans un long conflit avec le courant de pensée que l’on a appelé modernisme ; de quoi d’ailleurs l’Eglise n’est pas encore totalement sortie. Expliquant le mécontentement devant une religion qui influence encore la société et la vie publique, certains parlent d’un triple désenchantement : le doute quant à la possibilité d’une influence bénéfique de la religion, dans l’ordonnance publique des affaires humaines ; la crainte qu’elle puisse encore limiter le progrès scientifique ; et finalement sa référence à la tradition semble être une base bien fragile pour comprendre le progrès.
C’est clair que dans le monde présent, les conflits entre les Eglises et maintenant entre les religions, rendent difficiles la collaboration et l’établissement d’un ordre fondé sur la paix. Cela existe non seulement quand le fondamentalisme suscite directement l’hostilité mais aussi quand les représentants religieux se méfient les uns des autres ou s’opposent aux pouvoirs politiques sur les fondements des principes éthiques et des vertus civiques, sur lesquels eux-mêmes ne sont pas d’accord. C’est pourquoi beaucoup continuent à croire que l’effort, pour bâtir une communauté mondiale devrait se fonder sur des principes communs, faisant référence à la raison humaine. Ceci veut dire que la religion se verra marginalisée et jouera un moindre rôle dans les affaires humaines, à moins que les religions ne retrouvent de nouvelles façons de travailler avec d’autres, sur la place publique. Donc parce que beaucoup en notre monde, beaucoup d’économistes, politiciens et artistes font davantage appel à la raison et à la créativité humaine qu’à la foi religieuse, nous parlons de société sécularisée ou de monde sécularisé. Les termes sécularisme et sécularisé cependant sont assez ambigus, comme sont fluides, les situations qu’ils cherchent à décrire.
Quand quelqu’un, religieusement orienté, décrie le sécularisme et la culture séculariste, il semble avoir souvent deux choses en tête. L’une c’est la position de certains gouvernements ou Etats qui, d’une façon ou d’une autre, refusent la liberté de pratiquer la religion, par exemple en l’éliminant des écoles ou en interdisant aux instituts religieux – associations volontaires, hôpitaux ou cliniques - de développer leur façon de contribuer à la société, en suivant leurs propres principes. L’autre point, écrit en grand, dans la dénonciation d’une culture séculière, est sa dégénérescence dans une culture individualiste, consumériste et hédoniste.
L’amplitude de la pensée séculière n’est pas si facile à mesurer. Si le sécularisme désigne l’absence de foi dans la vie humaine, ou sa totale privatisation, ou sa relégation à la vie domestique et personnelle, les sociologues, dont le métier est de décrire les sociétés sur la base d’observations rigoureuses, sont incapables de déclarer un seul pays, complètement sécularisé. Quand ils veulent établir la carte d’une population, ils affirment trouver une tension permanente entre les appels aux principes religieux et les appels à la raison et à la créativité humaine qui veulent mettre la religion hors jeu, dans la construction d’un ordre humain et écologique. Il y a toujours ceux qui veulent que toute référence à Dieu soit bannie du domaine public ou qui refusent la liberté de pratiquer la religion, mais cela ne décrit pas l’approche de la majorité des citoyens du monde ou d’un pays en particulier. En effet certains sociologues soutiennent qu’il n’y a pas absence signifiante de la croyance et de la pratique religieuse, dans ce qu’on appelle les sociétés sécularisées, mais bien plutôt un différent type de religion. Ce qui a diminué, disent-ils, c’est l’emprise des organismes religieux sur leurs membres, en matière de croyances, d’éthique et de culte. Il y a donc un mouvement qui va de ces organismes religieux vers des formes de religion plus personnelle, ou vers des communautés moins étroitement contrôlées ; ses motivations tombent sous le triple désenchantement signalé plus haut.
Les Eglises font un mauvais calcul si elles ne prennent pas au sérieux les raisons qui amènent la sécularisation et si elles se contentent de dénonciations fréquentes. C’est mieux de faire comme a dit Vatican II en Gaudium et spes 35-36, revu par Benoît XVI qui distingue les effets positifs et négatifs de l’appel à la raison, dans le façonnement de l’avenir de l’humanité : il écrit : « c’est une question, d’attitude que la communauté des croyants doit adopter face aux convictions et demandes, renforcées par l’Illuminisme. D’un côté on doit s’opposer à la dictature de la raison positiviste qui exclut Dieu de la vie de la communauté et des organisations publiques… De l’autre on doit accueillir les vraies conquêtes de l’Illuminisme : les droits humains et surtout la liberté de religion et de ses pratiques, et reconnaître cela comme des éléments essentiels, pour une religion authentique. »
Alors que le déclin de l’influence de la religion s’enracine dans le passé, bâtir un avenir pour l’humanité se complique maintenant parce que la raison elle-même et les entreprises humaines sont, elles aussi, source de déception. Dès le début du dix neuvième siècle, ce phénomène commençait à poindre dans les nouveaux poèmes autour du sacré et la prise de conscience des limites humaines dans le contrôle de la nature et de la société ; ce qui ne veut pas dire la restauration du principe Dieu. Les raisons de douter de la raison continuent à s’accumuler devant l’évidence de l’échec moral humain. Le point extrême, invoquant la capacité de la personne humaine à créer un monde dans lequel vivre, est apparu avec le régime Nazi et son holocauste du peuple Juif. Les désastres humains et la cruauté à large échelle n’ont fait que se multiplier depuis lors, laissant les gens dans le doute quant aux possibilités mêmes d’une conduite raisonnable et la capacité de penser le bien commun. À la consternation face aux désastres humains s’ajoute la nouvelle prise de conscience du péril écologique, causé par les activités humaines globales. Ce que l’on appelle progrès dans le développement technologique et politique semble avoir failli. Partout les gens se demandent quel avenir possible l’humanité peut-elle avoir, avec ou sans religion.
Cette grande désillusion face à la religion, la raison, les traditions humaines, l’autorité, face à tout ce qui tombe sous la rubrique de la culture, est parfois décrite comme la condition postmoderne, plus facilement repérable quand elle trouve une expression publique et influence le monde artistique. Certains n’y voient que du négatif et utilisent le terme postmodernisme dans un sens péjoratif, le voyant comme une façon de vivre dans un monde qui n’aurait aucun avenir viable et aucune vérité objective sur laquelle bâtir. Pour aller contre cette tendance et trouver une issue en avant, il est possible de retomber dans des formes de fondamentalisme religieux pré modernes ou d’essayer d’aménager une place pour la foi sous des formes d’un autre âge. Cependant, comme nous l’avons dit à propos du sécularisme, à refuser trop rapidement la postmodernité, on s’expose à passer à côté d’une saine mise en évidence des limites de la modernité. Même la déconstruction de modèles de foi, d’action, d’unité sociale et du monde naturel, ressentie comme nécessaire à cause de leur teneur idéologique, ouvre des champs de créativité qui ont longtemps été tenus à l’écart. Les penseurs, les leaders et quelques citoyens, écartés comme postmodernistes, font souvent preuve d’une grande passion pour la justice et pour la justice envers les marginaux ou les exclus de la société qui ont été oubliés dans le processus du développement humain. Ils ne veulent pas seulement la justice pour ces gens, ces groupes et ces individus, mais ils veulent créer un espace pour eux, afin qu’ils puissent développer leur propre créativité, en servant un ordre du monde plus équitable. Des orientations qui puisent, comme on pourrait dire, dans les énergies souterraines, se manifestent en ceux qui promeuvent les « politiques vertes », dans les activités des femmes qui rompent avec les moules culturels, dans les mouvements sociaux de solidarité parmi les pauvres et avec les pauvres, en de petites communautés de foi et de résistance et dans la réémergence des peuples indigènes, comme partenaires dans la construction du futur. Servir l’humanité ne peut pas être une abstraction mais se situe dans des communautés de personnes et dans les mouvements de différentes sortes.
Il n’est guère possible d’utiliser les mots ‘séculier’ ou ‘postmoderne’ pour décrire le monde dans lequel nous vivons. Il y a certaines forces à l’œuvre, auxquelles ces adjectifs peuvent s’appliquer, mais l’instinct religieux est également toujours vivant. Dans le monde occidental, et parmi les populations qui ont accueilli les courants de la modernité, quand les gens quittent les façons traditionnelles de pratiquer, plutôt que de décrier la privatisation de la religion ou l’hédonisme, nous devons comprendre leurs désillusions et leur recherche. De même, en beaucoup d’endroits, la religion n’est plus nécessaire à l’appartenance sociale et est bien plutôt une affaire de libre choix. Ce n’est pas l’exercice énergique de l’autorité mais le témoignage et la crédibilité de communautés chrétiennes vivantes qui doivent convaincre les gens de la vérité et de la fidélité de Dieu et de la contribution du christianisme au bien de l’humanité.
Une religion avec une organisation plus lâche, telle qu’on la trouve dans les communautés Pentecôtistes, rencontre la faveur des citoyens de cet âge sécularisé, où les gens perdent leur place, avec de nouveaux rebondissements. Ces communautés offrent les promesses divines, elles sont ouvertes à la diversité et elles gardent des éléments qui viennent des religions traditionnelles ou culturelles qu’elles relient au Christ et à l’Esprit. Dans ce qu’on appelle les sociétés traditionnelles, le Pentecôtisme s’allie souvent au courant qui maintient les cultures traditionnelles. Quand de telles communautés s’enracinent dans les communautés locales, elles reprennent à leur compte une vision organique de la société où la relation à la terre et aux ancêtres fait partie du sentiment religieux. C’est cette relation entre les vues traditionnelles de la société et leur relation à l’espace et aux ancêtres qui a réussi dans les Eglises de l’Initiation Africaine (parfois appelées Africaines Indépendantes). Cela permet des implantations variées, la fluidité et la diversité dans la pratique de la religion, tout en restant à l’intérieur du même modèle d’interdépendance, celui des religions traditionnelles. Ces Eglises peuvent jouer un rôle important dans une restauration écologique dans laquelle les communautés humaines et la relation à la terre sont unies.
Le catholicisme, acceptant l’inculturation, essaie de s’approcher de la vision cosmique et organique de la communauté et de la société humaine, telle qu’on la trouve dans les Eglises de l’initiation africaine, ce qui en principe, permet de se diversifier selon ce qui est propre aux peuples. Le potentiel et la force d’une foi catholique inculturée sont néanmoins contrecarrés par la poursuite d’un contrôle pesant et centralisé et par l’exigence que la doctrine, la catéchèse, la piété et la liturgie restent identiques à travers le temps. La crise culturalo-écologique du monde, par laquelle nous passons, ne se résoudra que par une saine relation à un lieu donné et par le respect de la culture des communautés particulières, ce qui est cependant contrecarrée par le refus d’accepter la diversité dont la conséquence est que la foi et la pratique religieuse ne pourront pas s’intégrer à telle ou telle communauté.
Dans cette perspective, nous pouvons comprendre pourquoi les observateurs croient que le catholicisme et les grandes Eglises issues de la Réforme pourront trouver place dans la société et continuer la pratique religieuse, à condition qu’elles s’ouvrent à la diversification et au pluralisme. Elles devront aussi s’engager toujours plus pleinement dans le dialogue avec les autres confessions si elles veulent, ensemble, contribuer au bien commun et au développement d’un nouvel ordre du monde.
Dans ces relations entre confessions différentes, il y a bien des préjugés et de l’hostilité à surmonter, mais l’appel à élaborer une réaction positive commune à la crise écologique est bienvenu, étant donné la déception et le questionnement post-modernes dont il a déjà été question. Toutes les religions qu’elles soient théistes ou non dans la formulation de leurs croyances et de leurs pratiques, ont en commun des traditions qui considèrent la création et les créatures comme sacrées. En d’autres termes, en essayant de se comprendre les unes les autres, sans préjugés, elles pourront travailler ensemble pour raviver une approche spirituelle du monde et poursuivre un bien commun qui a été, de quelque façon, oublié dans la planification du progrès humain. Prenons l’exemple du dialogue entre l’Islam et le Christianisme ; il se réfère à une transcendance dans la vie humaine et peut échanger sur comment l’amour de Dieu, l’amour du prochain et l’amour des créatures convergent. Un autre exemple est le dialogue entre chrétiens et bouddhistes dont le fruit est de rendre plus intenses ces attitudes et ces pratiques qui font attention à l’univers et à ses forces de vie.
L’Eglise dans le monde
L’Eglise se débat encore pour trouver sa vraie vocation, son vrai rôle et son identité, comme Eglise de Dieu dans le Monde, parce que, en son sein, tous ne partagent pas la même compréhension à son sujet. Ces tensions internes durent depuis plusieurs siècles, depuis que l’Eglise a perdu son rôle dominant dans l’ordre public. Toujours consciente de son appel à servir les pauvres, l’Eglise pourrait former ses membres dans les vertus civiques, mais elle maintient sa propre organisation religieuse, mettant l’accent sur la dévotion et les œuvres charitables, nourrissant la vie de dévotion de ses membres et prenant soin des pauvres, dans des formes qui ne se retrouvent pas dans la société. En nos temps, l’Eglise envisage sa place dans un futur ordre global du monde, en se définissant en termes d’option pour les pauvres. En parlant d’option pour les pauvres, elle signifie sa volonté d’aller au-delà de la simple charité pour promouvoir leur développement. Cependant, il n’existe pas un consensus clair sur ce qui constitue le « développement humain intégral », ni sur ce qu’on entend par respect pour la création, ni sur la nature du dialogue de l’Eglise avec le monde, ni sur comment cela affecte la vie intérieure de l’Eglise, et ce, malgré l’insistance sur le rôle des laïcs et l’existence d’une variété de mouvements laïcs, divers dans leur forme et leurs objectifs.
Dans la recherche du chemin qui nous attend, les Ecritures ont trouvé un nouveau rôle pour éclairer la dévotion et la vie apostolique des Chrétiens d’aujourd’hui. Ceci a été encouragé par le Synode de 2008, sur la Parole de Dieu. Pour témoigner publiquement du Royaume de Dieu dans la société sécularisée, on peut suivre divers chemins. Les uns prônent un renforcement de l’autorité du magistère, une restauration du profil sacral du prêtre, une réactualisation des dévotions préconciliaires telles que l’Adoration du Saint Sacrement, la confession sacramentelle fréquente et même un retour des indulgences. D’autres croient qu’il y a besoin d’une plus grande liberté dans les églises locales et que c’est dans la vie des communautés que s’harmonisent de façon nouvelle le rôle des ministres ordonnés et de tous les baptisés, en acceptant aussi d’écouter les voix des marginaux. Face à un monde global et sécularisé, ce dernier courant souhaite des formes de prières qui amènent les Eglises chrétiennes à se retrouver entre elles et avec des membres d’autres confessions. En lisant les Ecritures ils découvrent une image renouvelée de Jésus-Christ qui a voulu son propre ministère au service du peuple, dans un monde troublé, où les identités culturelles et sociales étaient menacées et où les développements politiques créaient des masses de pauvres. Ceci donne plus de sens à la façon dont Jésus a rendu témoignage au Royaume, dans sa prédication et dans ses souffrances, et comment Dieu lui a rendu témoignage dans sa résurrection, promettant la victoire de la vie sur la mort. Suivre le Christ dans une solidarité « glocalisée » signifie être attentif à tant de souffrances vécues par les gens, dans leur environnement immédiat, au milieu de l’agitation d’une existence en changement. Alors qu’existe un profond malaise et que règne la corruption de la culture, de la société et de l’éthique, c’est face à des souffrances directement expérimentées et devant la pauvreté, que le témoignage de l’Evangile peut apporter l’espérance et de grandes promesses, montrant que la vie ressuscitée l’emporte sur la mort et toutes ses manifestations.
La communauté oblate
Les Oblats ne sont pas étrangers aux tensions ecclésiales. La manière de résoudre ces tensions aura une grand influence sur comment ils vont pouvoir combiner leur charisme fondateur du service des pauvres avec la mission à la sécularité nouvellement adoptée. La résolution de ces tensions internes influencera aussi la place des associés laïcs, comme le feront également les chemins qu’ils adopteront pour vivre plus consciemment comme corps international. Tensions aussi, potentiellement créatives, dans la façon d’intégrer l’engagement sur les questions de justice, paix et souci de l’environnement, au service duquel quelques Oblats sont maintenant envoyés, et la présence plus traditionnelle des communautés apostoliques parmi les pauvres.
Le discernement est bien nécessaire. Deux choses devraient être capables de rassembler tout le monde et de faciliter l’élaboration des orientations pour l’avenir. L’une consisterait à intégrer, dans la vie de dévotion et les travaux apostoliques des communautés oblates, la Parole de Dieu, lue dans les écritures. L’autre est la recherche de façons de vivre la pauvreté évangélique et apostolique, appropriées à la mission et au ministère. Nous ferions bien de revenir à la lettre du P. Steckling de 2002 sur la Pauvreté apostolique et d’écouter le Pape Jean Paul II sur la place de la pauvreté dans la vie évangélique, dans sa lettre sur la
Vie Consacrée n°90 : « Le témoignage (de la pauvreté évangélique) sera accompagné par un amour préférentiel pour les pauvres et se montrera spécialement en partageant les conditions de vie des plus négligés. Il y a beaucoup de communautés qui vivent et travaillent parmi les pauvres et les marginalisés ; ils embrassent leurs conditions de vie et partagent leurs souffrances, leurs problèmes et leurs dangers. » En entendant cela, les Oblats peuvent facilement se sentir d’accord avec l’appel pastoral d’Aparecida à être présents parmi les communautés les plus fragiles sur terre.
Les Oblats sont appelés à revoir leur pratique de la pauvreté évangélique volontaire afin de renforcer leur solidarité avec les pauvres et de développer une attention vécue à la Parole de Dieu. Ils cherchent une façon vraiment évangélique d’être présents parmi les gens dont les vies sont bouleversées par les retombées négatives d’une économie globalisée et d’une technologie, elle aussi globalisée, qui met en péril, en même temps, la vie humaine et les écosystèmes. En présentant quelques perspectives sur ces phénomènes, peut-être que ce document, bien que bref, aidera à mettre en relief cet effort missionnaire.
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