Conversion
Un Cœur nouveau – un Esprit nouveau – une Mission nouvelle
La Commission pré-capitulaire a demandé à un certain nombre d’Oblats d’écrire une réflexion sur quelques aspects du thème choisi pour le 35
e Chapitre général. Dans les prochains mois, OMI Documentation publiera ces réflexions. On peut aussi les trouver sous le lien
Chapitre général de
www.omiworld.org ainsi que sous le lien
Documentation, sur la même page.
Ces textes se veulent utiles à la réflexion personnelle et commune des Oblats et de leurs Associés laïcs. Un Chapitre général n’est pas un événement qui n’engage que les capitulants élus et « ex officio ». Il engage tous ceux qui partagent le charisme de Saint Eugène de Mazenod.
Centrés sur la personne de Jésus-Christ, la source de notre mission, nous nous engageons à une conversion profonde et communautaire.
Oblation, Conversion et Discernement
Par Gianni Colombo, omi
Province d’Italie
Les Constitutions OMI disent que « le Chapitre est un temps privilégié de réflexion et de conversion communautaires ; ensemble, en union avec l’Eglise, nous discernons la volonté de Dieu dans les besoins urgents de notre époque et nous le remercions pour l’œuvre de salut qu’il accomplit par nous » (C.125). Dans cette deion, nous trouvons trois concepts bibliques fondamentaux pour la vie de la Congrégation :
kairòs, metànoia, dokimàzein. Autrement dit : vivre un temps de grâce (
kairòs), une attitude de conversion (
metànoia) afin d’être capables de discerner (
dokimàzein) la volonté de Dieu, dans la mission qu’Il nous donne dans le contexte social, culturel et ecclésial actuel. Le thème proposé pour les capitulants, et qui concerne tous les Oblats, met l’accent sur la conversion, une attitude mentionnée constamment dans les textes bibliques. La conversion implique un changement du cœur et de l’esprit, comprenant la façon de sentir et de penser des personnes et des communautés, quant à leur identité et à leur mission. Ces divers domaines (personnes, communautés, institution) sont interdépendants et, afin de se renouveler, ils doivent compter sur les stimulations de l’Esprit. Dans ma réflexion, je me baserai sur un texte de St Paul que je trouve éclairant dans sa concision : Romains 12,1-2.
1.
“Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu ; ce sera là votre culte spirituel.” (Rm 12:1)
Dans cette exhortation, Paul nous offre une synthèse de la vie chrétienne comme offrande de la personne, dans le concret de son expérience historique. C’est une offrande de sa propre intelligence et de sa volonté, de sa liberté et de son affectivité, de ses ressources et de ses limitations, de ses propres peurs et de ses essais de bravoure. C’est dans cette offrande sans réserve que l’on expérimente la vie comme un culte authentique et quotidien « en esprit et en vérité. », une participation au sacrifice du Christ qui a offert sa vie au Père pour toute l’humanité.
Les termes “oblat et oblation” qui définissent notre identité, sont contenus dans cette attitude de don total. Ce sont des paroles qui risquent de perdre leur dynamisme si elles ne sont pas comprises dans le sens d’un choix positif de vivre sa propre vie comme « un sacrifice vivant qui plaît à Dieu » en union avec le Christ (cf. CC.2 et 65). Cette conscience du choix fondamental de suivre le Christ est la condition indispensable pour se mettre dans une attitude sincère de conversion, afin de discerner la Volonté de Dieu. Dans ce sens seulement, notre vie et notre mission peuvent se renouveler et se redéfinir, afin de répondre de façon signifiante aux attentes de nos contemporains.
Dans l’oblation de nos “corps” comme sacrifice spirituel, s’exprime, avec les mots de l’appel passionné de Paul, l’authenticité de notre décision fondamentale de « suivre le Christ ». La ‘
sequela Christi’ ne s’épuise pas dans le fait de le considérer comme maître à écouter et modèle à imiter, mais il faut que nous nous identifions à lui, en le laissant vivre en nous (C.2). Les expressions pauliniennes prennent du sens quand il décrit la participation intime du chrétien à l’expérience du Christ en ces termes «
souffrir avec lui » (Rm 8,17), «
vivre avec lui, mourir avec lui, ressusciter avec lui » (Rm 6,6 et 8), «
siéger avec lui dans les cieux » (Ep. 2,6) «
régner avec » le Christ (2 Tm. 2,12)
Le choix fondamental de se conformer au Christ s’approfondit, par le travail de l’Esprit Saint, dans le développement d’une vie théologale : par la foi nous participons à la conscience que Jésus a du dessin d’amour du Père ; par l’espérance nous participons dans la confiance totale que Jésus a nourri envers le Père ; par la charité, nous faisons l’expérience de l’amour total que Jésus a envers le Père et ses frères et sœurs (cf. C.1). La dimension christocentrique de notre vocation a été bien soulignée par le P. Jetté quand, en donnant les critères pour évaluer la maturité d’un Oblat, il disait : « C’est une personne qui a rencontré Jésus, l’a aimé profondément et s’est donnée à lui, afin de continuer avec lui le travail de la Rédemption. »
L’Oblation ne s’épuise pas dans l’acte de la consécration au Seigneur, elle est plutôt une attitude constante qui qualifie et donne consistance à la dynamique de toute notre vie.
Gaudium et spes nous rappelle ceci : « L’homme… ne peut pas se trouver pleinement lui-même si ce n’est dans le don sincère de lui-même » (GS 24). Cette vérité s’exprime dans la catégorie biblique en terme d’alliance, dans la catégorie théologique en terme d’épousailles et dans la catégorie philosophique, en terme d’altérité-réciprocité-responsabilité. En fait, le choix fondamental du don se soi, en suivant Jésus dans sa vie théologale, dans le style des béatitudes, unifie la vie en lui donnant de vaincre la fragmentation et la dispersion, elle définit l’identité vocationnelle en lui donnant de surmonter l’ambiguïté, elle décide du sens de la vie et engage profondément la personne, en soutenant la persévérance.
Autrement, ils sont sans contenu ces discours répétés depuis Vatican II et par la suite, surtout à l’occasion du Synode des Evêques sur la vie consacrée, parlant du caractère charismatique et prophétique de la radicalité évangélique spécifique de la consécration religieuse, ainsi que l’exhortation adressée aux Instituts de revenir à leurs sources, afin de mettre en route le renouveau exigé par le contexte historique présent. Je me permets de poser une question, que je me suis posée à moi-même plusieurs fois cette année : ne souffririons-nous pas peut-être d’une certaine
boulimie dans nos discours spirituels, avec une
anorexie correspondante dans notre maturité humaine et chrétienne, condition d’une spiritualité authentique ? C’est certainement une impression personnelle et partiale qui ne veut pas ignorer l’engagement sérieux et généreux en tous les domaines, de ceux qui veulent susciter en nos instituts une sève vitale et nouvelle. Se placer dans une attitude de conversion personnelle et commune, signifie marcher effectivement en toute confiance sur le chemin de la redécouverte du don de l’Esprit saint pour prendre en main notre responsabilité.
2. “
Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence...” (Rm 12,2).
La conviction de l’importance du choix fondamental de suivre le Christ ne nous dispense pas de savoir que nous avons besoin d’une conversion permanente (cf. CC.2, 47). Chaque appel à la conversion que nous adressons aux autres commence par résonner à l’intérieur de notre cœur. Le chemin qui nous conforme au Christ est un chemin qui dure le reste de notre vie : la grâce seulement nous conduira au but, à la fin de nos jours. Dans ce voyage fatigant et édifiant, nous découvrons des espaces de notre vie qui n’ont pas encore été évangélisés, nous faisons l’expérience de la fragilité qui ralentit notre avance, le long de la route de l’Esprit ; nous souffrons de la peur et de la paresse qui sont des obstacles à la progression du Royaume de Dieu. L’expérience même de la communauté et de la vie missionnaire devient un appel continu à vérifier l’authenticité et la cohérence de notre présence et de notre action.
C’est un appel qui nous pousse à revisiter à nouveau les structures de notre Congrégation, de telle sorte qu’elles soient toujours plus appropriées à leur finalité missionnaire. Dans le passé, les institutions (famille, écoles, église), avec leurs respectives structures, ont joui d’une autorité notable, alors qu’aujourd’hui, leur estimation dépend grandement de la valeur d’autorité des personnes qui les incarnent. C’est toujours plus évident que, même les meilleures structures, construites par les plus grands architectes, ne valent que tant qu’elles sont habitées et placées au service des gens et de leur mission. Nous trouvons ici un autre domaine sur lequel exercer la pratique d’une conversion personnelle et communautaire.
De plus, le besoin de conversion, ne considère pas seulement l’aspect personnel et institutionnel, en référence à lui-même, mais il est imposé par un monde qui traverse de sérieuses transformations. Notre temps a connu des événements qui nous forcent à changer notre façon de penser. Il suffit de mentionner le Concile qui nous a obligés à repenser l’identité et la mission de l’Eglise dans le monde, à la fin du colonialisme politique, parce qu’il a mis en lumière les cultures et les religions traditionnelles et l’émergence de nouveaux peuples, comme acteurs sur leur propre scène historique. Ce sont des événements qui nous forcent à repenser, parfois avec difficulté, notre mission même.
Il faut ajouter, le phénomène de la globalisation, dans ses divers aspects, qui favorise la propagation d’une culture post moderne, envahissant progressivement chacune des cultures traditionnelles. Il n’est pas étonnant que notre temps soit alors décrit comme «
un temps de désenchantement » à cause de la chute des illusions et de l’optimisme du siècle des lumières, «
un temps d’un monde en fuite » à cause de son incapacité à se représenter une direction vers où s’orienter, «
un temps d’errance » à cause de la conviction qu’il est impossible de s’ancrer dans une vérité garantie, «
un temps incertain » à cause de la réjection d’un projet à long terme, «
un temps de vide » à cause du manque d’un fondement quelconque qui donne consistance à la pensée et à la vie. Cette prise de conscience ne devrait pas nous faire oublier le progrès et les potentialités contenues en des domaines tels que les droits humains, la promotion de la femme et la sensibilité écologique.
Vatican II a commencé un dialogue sérieux avec le monde moderne et nous, Oblats, nous sommes appelés à vivre “au cœur du monde” (C.1), non pas pour nous laisser absorber passivement, mais comme Marie, pour donner le Christ au monde (cf. C.10), ce monde où beaucoup aspirent à une liberté intégrale et à une vie en plénitude (cf. C.20, RR. 9a, 67a) et pour rendre le monde plus humain (cf. C.4). Notre présence serait insignifiante si notre parole, et par dessus tout, le témoignage de notre vie et de nos communautés devait cesser de provoquer à la conversion les gens que le Seigneur place sur notre chemin. Parmi tant de voix et de messages de toute origine et de toute couleur, le message humble et fort de l’Evangile finirait par être suffoqué.
Afin que l’Esprit puisse convertir et modeler librement notre façon de penser, de vivre et de travailler, il faut que nous nous laissions transformer intérieurement, pour reconnaître les richesses et les limites de la culture dans laquelle nous sommes immergés, si nous ne voulons pas perdre notre mordant en cédant à la négation de valeurs importantes. Au primat décerné à l’efficacité, à l’utilité immédiate, nous sommes appelés à substituer le primat de la gratuité dans l’amour ; face au primat donné aux expériences fragmentées, nous sommes conduits à préférer la continuité de l’engagement quotidien ; face au primat conféré à la sensibilité anarchique, nous sommes appelés à harmoniser raison et sentiments ; face au primat accordé à la technologie nous sommes stimulés à faire appel aux valeurs éthiques.
La
Préface du Fondateur reste une invitation bien à propos et urgente à se convertir personnellement et ensemble, si nous voulons, par notre travail, ouvrir de nouveaux chemins de conversion à ceux vers lesquels notre mission nous envoie. Les mots du Fondateur nous encouragent comme ils l’ont fait dans les magnifiques exemples de tant d’Oblats qui nous ont précédés et de tant d’Oblats avec lesquels nous sommes engagés dans la mission.
3.
“… pour discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait. » (Rm.12,2)
La Révélation présente la conversion comme une vocation authentique de l’homme biblique : Dieu nous appelle sans cesse à la conversion et cette invitation prend des tons et des caractéristiques diverses selon les situations historiques et les expériences des gens concernés. Concrètement, la conversion assume les modalités religieuses, éthiques et culturelles qui constituent pour Paul les conditions d’un authentique discernement. La réprimande et l’invitation de Jésus à la foule qui l’a suivi est significative : « Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel, pourquoi ne savez-vous pas interpréter (
ou dokimazete) le temps présent (
kairon) ? Et pourquoi ne jugez-vous pas vous-mêmes de ce qui est juste ? » (Lc.12,56-57). Remarquez que Jésus, confronté à l’incapacité à discerner les temps messianiques, exhorte les gens à discerner eux-mêmes, parce qu’ils disposent des signes nécessaires. A toutes les époques, le chrétien est appelé à la conversion, à sortir de son ‘hypocrisie’ et à reconnaître la présence du Christ. Et avec bien plus de raisons encore, ceci vaut pour ceux qui ont été « choisis à l’avance » pour proclamer l’Evangile de Dieu » (Rm.1,1) (C.2)
Tous, population et institutions, nous vivons dans des situations complexes. Ce n’est pas toujours possible de deviner quels sont les choix et les décisions les plus opportunes. En de telles circonstances, comme dans un Chapitre général, il convient de suivre l’itinéraire d’un discernement prudent ce qui présuppose que le discernement soit déjà vécu comme une attitude habituelle, comme style de vivre l’Evangile aujourd’hui.
Discerner signifie évaluer, distinguer, examiner, vérifier, analyser, éprouver les choix qu’il convient de faire, décider, agir, pour répondre à l’appel du Seigneur. Nous sommes certainement constamment appelés à la conversion, mais c’est important d’identifier les attitudes à revoir, les façons de penser à corriger, les structures à renouveler, les nouveaux chemins à parcourir. Afin de nous laisser guider par l’Esprit vers la plénitude de la vérité (cf. Jn 14,26), quelques attitudes fondamentales nous sont nécessaires. Je les mentionne brièvement :
être conscients de nos propres ressources et de nos limites personnelles et communautaires devant nos responsabilités envers l’Eglise, la Congrégation et la portion d’humanité confiée à notre mission; une conscience vague ne suffit pas, il faut une lucidité capable de nommer les richesses et les pauvretés dont nous disposons;
être guidés par le choix fondamental de la foi qui agit par la charité, en nous rappelant la prière de Paul pour les Philippiens : “Et voici ma prière: que votre amour abonde encore et de plus en plus, en clairvoyance et en vraie sensibilité, pour discerner ce qui convient le mieux et être ainsi purs et irréprochables pour le jour de Christ” (Ph. 1, 9-10);
être prêts à s’interroger, en intégrant l’apport des frères, sur comment les choix fondamentaux de la charité peuvent s’incarner dans le concret des situations et des problématiques en question ;
être disposés à se confronter sérieusement avec les médiations qui aident à identifier les choix et les décisions les plus valables selon l’Evangile : la Parole de Dieu, le magistère ecclésial, les Constitutions, le dialogue et le conseil de personnes expérimentées.
Il existe quelques indications, sans aucune prétention d’être complet, pour discerner les chemins sur lesquels l’Esprit nous pousse à marcher, pour répondre aux défis qui se posent aujourd’hui à nous, à nos communautés, à toute la Congrégation. Surpris par la rapidité et l’ampleur des changements historico-culturels, nous avons des difficultés à percevoir les nouvelles chances qui nous sont offertes. Souvent prédominent les évaluations négatives qui mettent en évidence les difficultés, obscurcissent les chemins que l’Esprit ouvre à un témoignage et à un renouveau de l’annonce de l’Evangile. Décisive est notre disponibilité à l’Esprit afin qu’il vainque la ‘
dureté’ de notre cœur, et qu’il opère en nous une conversion intime ; en guérissant l’ ‘
aveuglement’ de nos yeux, qu’il nous donne un regard renouvelé pour lire les signes des temps.
Ainsi seulement serons-nous à même de découvrir, dans les tendances culturelles actuelles, et dans les divers contextes de notre présence missionnaire, ce qui est nécessaire afin qu’une vie personnelle et communautaire, selon les conseils évangéliques, soit crédible et significative ; quelles formes sont appelées à exprimer notre vocation et notre qualité missionnaire, quelles structures sont plus adaptées au moment historique actuel.
L’exhortation de l’Apôtre à offrir sans réserve nos personnes, dans une attitude de constante conversion, en vue d’un discernement évangélique, est pleinement actuelle.
Le Christ comme lieu de conversion
pendant la formation d’Eugène de Mazenod
Par Cyrille Atitung, omi
Province du Congo
Quand Eugène de Mazenod se présente au séminaire Saint Sulpice
[1], il a sur le cœur quelque chose de précieux à offrir, sa propre personne. Mais il se met surtout dans l’obligation d’être autrement dans sa vie. Les souvenirs d’autrefois qui se bousculent dans son esprit peinent à s’imposer à ce jeune de noblesse française particulièrement atypique. Eugène fait le choix de l’état ecclésiastique en pensant qu’il ne pourra exister qu’en étant consacré totalement au Seigneur.
La rhétorique qu’il déploie dans son abondante et profonde correspondance avec sa famille dévoile clairement sa ferme volonté de s’engager dans une voie particulière. Eugène avoue dans une littérature poignante le besoin d’une singulière conversion
[2]. Il ne se fixe pas un petit budget de piété, mais il brule clairement d’envie et consent de devenir jour après jour ami, un passionné de Dieu. Il voit en horreur les égarements facilement justifiables ou encore le moindre ennui avec Dieu. Son itinéraire au Séminaire prenait la voie singulière que lui-même s’est imposé. Il voulait à tout prix ressembler à celui qui l’appelait.
Dans ce petit exposé si modeste, nous abordons son parcours au Séminaire Saint Sulpice comme étape importante dans le travail de la conversion personnelle. Nous avons deux orientations à présenter ; la découverte du Christ comme vérité de sa propre vie et comme engagement sur la voie de la sainteté.
La découverte du Christ comme vérité sur sa propre vie
Les abondantes larmes versées un vendredi Saint n’étaient que prélude d’un tournant important d’une seconde naissance qui prenait déjà forme. Et pour cela, Eugène mettait tout en marche pour conquérir son nouveau statut très demandant
[3]. «
Rien contre Dieuest la devise strictement indispensable de tout chrétien quelque peu fervent qu’il soit; un homme qui aspire à l’état ecclésiastique doit aller infiniment plus loin. Ainsi donc horreur et la plus grande horreur de tout ce qui peut offenser le bon Dieu. Mais en outre je dois me fixer à la plus scrupuleuse fidélité dans les plus petites choses … »
[4]. Ce profond désir d’être radicalement transformé garde sa ligne d’un bout à l’autre de son parcours. Eugène est persuadé que son destin est lié à celui de la religion de son Maître. Cela appelait à une conversion régulière dont la personne du Christ demeurait toujours le repère absolu.
Il voulait à tout prix correspondre sa vie à l’engagement pris. Il ne comprendra autrement la vérité de sa propre vie que dans l’état dont il reconnaît la noblesse avec fierté légitime : «
Mais désormais ma personne, mon honneur et ma réputation seront tellement unis avec la religion, dont je suis le ministre quoiqu’indigne, que je dois marcher avec précaution, il n’en faut pas davantage, ma chère maman, pour vous faire sentir combien il est important que je suive le plan que je me suis fait et qui est assurément bien approuvé par ceux qui peuvent par leur expérience et leur sainteté apprécier mes raisons »
[5]. Eugène prend de plus en plus conscience de ce qu’il doit être par-delà son indignité. Le désir d’être hors du commun prend un relief particulier. Il va déployer les efforts pour satisfaire son ami, le Christ, une fois le parvis du grand séminaire Saint Sulpice franchi : «
Indépendant, jusqu’à mon entrée dans cette sainte maison, il n’est pas possible que la soumission et l’obéissance ne me paraissent dures, surtout pour ce qui est du choix et de la manière d’étudier (…) Ainsi non seulement je dois me féliciter de m’être fait connaître à mon directeur tel que je suis, et même tel que j’ai été, ce qui a été une grande victoire que la grâce de Dieu m’a fait remporter sur moi-même (et à laquelle mon amour-propre s’opposait, me présentant plusieurs raisons spécieuses), mais encore je dois être disposé à faire tous les aveux même les plus humiliants, supposé que mon directeur les croie, je ne dis pas nécessaires, mais utiles seulement… »
[6]. Ceci se passe de commentaire, il faut constater qu’Eugène est accroché par le Christ, il ne pourrait se dérober. Plus encore, Eugène s’en rend compte et ne voudrait pas non plus Le lâcher.
La conviction dont fait preuve le jeune aristocrate provençal dans son échange avec les membres de sa famille, au sujet de son cheminement, témoigne d’une démarche intérieure qui fait lumière sur sa propre personne. Il fait mémoire de son expérience fondatrice de sa vocation. Le Christ qu’il a rencontré personnellement dans une célébration de vendredi saint au détour d’une rue demeure au cœur d’un travail de reconstruction intérieure de grande envergure. «
Il me semblait que ce tendre ami devait être satisfait qu’au même instant où le plus grand nombre de ses enfants, de ces ingrats, pour lesquels il a versé tout son sang, l’offensent et l’outragent cruellement, il me semble, dis-je, que cet adorable Sauveur devait être satisfait de voir à ses pieds un misérable pécheur, repentant de ses fautes, gémir sur ses égarements. »
[7] Eugène de Mazenod ne se fait pas d’illusions sur la bataille personnelle qu’il doit engager pour retrouver son vrai état. Le temps de formation lui sert de cadre pour asseoir les permanences qui font son caractère de passionné de Christ, un ami toujours renouvelé. Eugène va jusqu’à demander aux siens d’être même importuns avec le Christ pourvu qu’ils lui obtiennent des grâces pour sa vie et son ministère : «
Je calcule que l’ordination des diacres sera samedi de 9 h. à 10 heures; si ma lettre vous arrive avant cette heure, trouvez-vous en cet instant aux pieds de Jésus-Christ pour lui demander tout ce qu’une mère sait demander pour son cher fils; ne craignez pas d’être importune; Dieu est assez riche et assez libéral pour contenter tout le monde »
[8]. Surprenante que puisse paraître cette forme d’adresse, une chose se précise. Eugène de Mazenod découvre le Christ comme un livre intérieur de sa vie à exploiter pour trouver les raison de vivre et de s’engager dans le monde pour être meilleur et parfait.
Avec le Christ, engagement sur la voie de la sainteté
Le jeune de Mazenod va faire une expérience de grande valeur en termes de désir et d’effort vers la sainteté pendant son séjour au séminaire Saint Sulpice. Cela se remarque dans son vécu quotidien. Nous relevons deux orientations prises par Eugène, la première le respect qu’il voue au Séminaire, la seconde sa ligne de conduite personnelle qu’il s’impose au Séminaire.
Ce qui frappe en lisant les lettres et les notes qu’Eugène rédige à peine arrivé au Séminaire, c’est son émerveillement en découvrant son nouveau milieu : «
Ne pouvant me dissimuler que je suis indigne et très indigne d’habiter parmi les saints qui composent cette maison vraiment céleste, je dois m’humilier profondément à la vue des iniquités qui auraient dû me fermer à jamais l’entrée du sanctuaire.»
[9] Eugène considère sa communauté du Séminaire comme un milieu hautement spirituel. La sainteté de l’Eglise et la sienne passe à travers l’expérience du Séminaire. Le Séminaire comme maison céleste veut dire simplement le lieu où habitent les ministres saints à la suite du Christ le vrai saint. Il renonce aux différents cultes personnels.
Dans une lettre à sa mère, il fait des éloges du séminaire en termes de paradis sur terre : «
Quelle vie que celle que nous menons ici! Les jours s’écoulent avec la rapidité d’un moment, et malgré leur brièveté ils sont pleins devant le Seigneur. Ici tout nous porte à lui, il n’est pas une minute de la journée qui ne soit pour lui. Les actions, même les plus indifférentes, nous sont comptées, parce qu’elles sont faites en vue de l’obéissance que nous lui devons. En un mot, le séminaire, quand on y est dans l’esprit que devraient avoir tous les hommes qui sont destinés à l’état ecclésiastique, est un véritable paradis sur terre »
[10]. La raison est bien claire, Eugène le trouve comme le lieu de la rencontre avec le Christ, le sacrifice eucharistique de chaque jour aidant, il baigne dans cette atmosphère céleste : «
Par exemple, nous sommes à la sainte messe au moment de votre lever. Eh bien! Croyez-vous que votre fils ne demande pas à Jésus Christ, qui a été pendant sa bienheureuse vie le plus excellent des fils, que votre journée et votre vie entière soit comblée de bénédictions et de grâces? Et quand j’ai le bonheur de recevoir ce Dieu d’amour, ce qui est très fréquent dans cette sainte maison, aurez-vous de la peine à croire qu’en me donnant tout à lui pour recevoir tout de lui en échange, je ne vous offre pas aussi, afin que vous soyez à part de mon avantageux marché?[11]»
Il faut s’imaginer que ce jeune Eugène aristocrate porte un affront à sa mère, moins disposée à le laisser embrasser la vie cléricale. Il faut être d’une étoffe tout autre pour faire échouer les espoirs d’une mère qu’on aime avec une singulière affection. Eugène semble être travaillé par le Christ à la manière d’un ferment. La pratique du jeûne aussi austère qu’il adopte ne traduit que ce désir de ressembler au Christ dans le domaine de la perfection. «
Cherchons-nous souvent dans le cœur de notre adorable Maître, mais surtout participez souvent à son Corps adorable; c’est la meilleure manière de nous réunir, car, en nous identifiant chacun de notre côté avec Jésus Christ, nous ne ferons qu’un avec lui, et par lui et en lui nous ne ferons qu’un entre nous»
[12]. Son vrai bonheur c’est de participer à la mission du Fils divin, quitte à laisser de côté vanités, attraits et sollicitations. Il s’interroge profondément sur le sens de sa vie : «
Et ce divin Maître m’appelant à Lui pour servir son Eglise, dans un temps où elle est abandonnée de tout le monde, dois-je résister à sa voix pour languir misérablement hors de ma sphère? »
[13] Question existentielle qui devrait habiter les oblats de ce troisième millénaire appelés à affronter les dures réalités missionnaires actuelles.
Comme dans l’antiquité chrétienne, le nom de chrétien signait l’adhésion totale du nouveau croyant et dévoilait en même temps détermination de ceux qui professait ou réclamaient de la religion de Jésus Christ. Ce nom déterminait le confesseur du Christ devant toutes les situations. Plus qu’un nom, il était une identité. Appartenir au Christ consistait à une kyrielle des renoncements salvateurs. Eugène pendant sa formation fait preuve de cette détermination pour son état ecclésiastique dont le fruit adorable sera la fondation d’une congrégation missionnaire dite des « missions difficiles ». Vivre la vocation oblate aujourd’hui au milieu de tant d’épreuves, l’esprit alerte et décidé d’Eugène permet de garder le cap pour la mission dans le monde actuel.
Somme toute, l’itinéraire formatif d’Eugène au Séminaire Saint Sulpice donne lieu à la découverte du Christ au cœur de sa vie et de sa vocation. Il se dégage que la conversion chez Eugène, c’est respirer le Christ qui assainit le reste de son souffle. Ainsi s’accomplit-il au jour le jour le renouvellement du jeune Eugène. La note particulière à retenir est la détermination du jeune homme pendant sa formation, qui fixe déjà la conquête harassante du Christ. Eugène nous apprend à fixer le regard sur le Christ et à tenir bon. Il affirme sans ambages : «
Quand je suis venu au séminaire ce n’était pas pour y changer d’avis, mais bien plutôt pour me raffermir dans la sainte vocation qu’il avait plu au Seigneur de m’inspirer. Un an de séminaire, à mon âge, est plus que suffisant pour savoir sur quoi compter; et quand on résiste à cette épreuve on peut être tranquille.»
[14]
Nous centrer à nouveau sur le Christ
Par Olegario Domínguez, o.m.i.
Province du Paraguay
Profitant de l’invitation qui m’est faite, je vous communique ma modeste contribution.
Donner de ma pauvreté, comme nous avons l’habitude de dire en Amérique latine.
Le thème du Chapitre je le trouve très riche et très bien venu. La conversion au Christ est toujours la condition et la clef de notre croissance personnelle, communautaire et apostolique. Je crois que, dans les circonstances actuelles il l’est de manière spéciale pour toute notre Congrégation, à cause de l’immense quantité d’œuvres qu’elle a entre ses mains et de toutes les sollicitations qu’elle reçoit du monde dans lequel et pour lequel elle vit, et à cause, parfois du climat d’insécurité et de confusion qui règne dans les idées et dans la pratique de notre société actuelle. Comme peut-être jamais dans l’histoire, l’Eglise est confrontée à un monde chargé de problèmes et d’insécurité ; comme jamais, nous nous trouvons sans chemins tracés, en des situations qui exigent de nous inventivité et décision, et fréquemment nous sommes poussés à donner des réponses rapides et partielles sans suffisamment de temps de réflexion et de prière. Les fruits qui sont exigés de nous, demandent de bonnes racines ; si l’on réclame de nous rapidité et audace, moins que jamais nous pouvons improviser. (cf. le dicton : ’rends-moi visite, mais prends ton temps car je suis pressé’)
Il faut nous convertir en allant au centre de notre vie, retournant avec enthousiasme et joie « au Dieu de la joie et de notre jeunesse », au Christ Maître et Sauveur qui un jour à passé à nos côtés et nous a appelés comme André et Jean, comme Paul, comme Eugène de Mazenod « pour que nous soyons avec lui et qu’il nous envoie prêcher. » Après quelques années de travail à sa moisson ou à sa vigne, après avoir beaucoup trimé jusqu’à épuisement, après tant de prédications, nous nous rendons compte qu’il nous manque le « rester avec Lui », nous immerger dans la profondeur de sa vie, dans la lumière de son regard, dans les harmonies de sa Parole, dans les effluves mystérieux de son Cœur. Puissions-nous ressentir une vraie nécessité de « raviver le charisme » (2Tm.1, 6), d’une nouvelle invasion de vie et d’Esprit qui nous rende capables d’affronter de façon nouvelle l’évangélisation du monde, de notre monde éloigné de Dieu par le matérialisme et la consommation, fatigué, sceptique, inquiet et désorienté.
Dans le fond c’est ce que nous demande la Constitution 2 qui est comme le noyau le plus profond et le plus riche de notre spiritualité : « Les Oblats abandonnent tout à la suite de Jésus Christ. Pour être ses coopérateurs, ils se doivent de le connaître plus intimement, de s’identifier à lui et de le laisser vivre en eux… » Cette connaissance intime, cette identification active et passive avec lui c’est la tâche et la grâce de toute notre vie personnelle et collective. Ce sera spécialement la tâche et la grâce du Chapitre de 2010.
En ce “recentrement vital en Christ”, dans cette nouvelle immersion en son mystère, je vois comme trois aspects fondamentaux qui répondent à la triple dimension de notre vie théologale et qui nous invitent à une réflexion simple et savoureuse.
1.
Voir le monde avec les yeux du Christ: nous approcher de Lui, écouter ses paroles, partager avec Lui nos inquiétudes, nous amène à penser comme Lui, à assumer ses critères, à marcher à sa lumière, à voir le monde avec ses yeux de bon Maître, qui est venu à nous pour rendre témoignage à la vérité (Jn 18,37), de Rédempteur qui meurt pour donner la vie à tous les hommes, de Bon Pasteur qui connaît ses brebis d’une connaissance amoureuse, intime et vivante, imprégnée d’affection et de tendresse, de compréhension et de compassion.
Notre foi consiste précisément à tout voir à travers les yeux illuminés de Jésus : regarder avec Lui vers Abba, engagé avec notre pauvre humanité égarée, vers Abba de bonté et de compassion qui envoie son soleil et sa pluie sur les bons et les méchants, qui écoute la clameur des pauvres et des affligés, qui veut le salut de tous, qui fait fête quand il retrouve son fils qui a dilapidé tout son avoir, qui montre son pouvoir surtout en pardonnant et en étant compatissant.
Voir avec les yeux illuminés de Jésus notre petitesse et notre misère, notre vase d’argile qu’il a choisi pour porter son Message, les trésors de sa Grâce et de son Amour, aux hommes qu’il aime. Voir avec les yeux illuminés de Jésus le monde racheté par son Sang et les âmes qui lui appartiennent, les âmes qui, poussées par son Esprit divin, lui répondent avec un amour exquis et un abandon héroïque, et celles qui le suivent vacillantes et timorées, sans voir clair à l’horizon et sans énergie pour se donner tout entières, et aussi celles qui résistent aux exigences de l’Amour.
Avec les yeux illuminés de Jésus, Eugène a regardé le monde de son temps : il a vu les ruines accumulées par la Révolution, il a vu l’Epouse du Sauveur persécutée et dévastée, il a vu les âmes rachetées par le torrent mystérieux du Calvaire, qui courraient anxieusement vers leur perte, il a vu la gloire du Père, méprisée, et ainsi, avec un cœur ému, il s’est lancé dans l’aventure de sa vie…
Et dans cette aventure nous sommes nous-mêmes. Puissions-nous la porter à terme avec la même foi, la même sérénité intérieure, la même profondeur, avec la même certitude et sécurité du disciple qui s’exclamait : « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jn.6,68). Si nous nous habituons à regarder à travers les yeux de Jésus, cette attitude nous rendra capables de voir « les signes des temps » mieux que toutes les analyses sociologiques, psychologiques et politiques, nécessaires par ailleurs. Le discernement ensemble avec l’audace nous demandera de sérieux changements et parfois un engagement coûteux, mais il ne nous submergera pas dans l’angoisse ni nous fera vivre dans l’instabilité, le nervosisme et l’amateurisme. Nous approcher de Jésus c’est nous laisser guider par sa Parole et vivre dans la Vérité qui nous rend libres…
Nous agissons beaucoup, nous courrons beaucoup, nous prêchons beaucoup et parfois Dieu nous accorde la grâce de voir le fruit de nos travaux, nous voyons que notre engagement missionnaire est efficace… mais souvent il y a trop d’anxiété, trop d’humain dans nos activités fébriles, fatigantes et stressantes. Peut-être devrions-nous faire moins, courir moins mais avec plus d’enracinement dans la Parole, et donc avec plus d’amour, plus de tendresse et une plus grande efficacité libératrice.
2.
Reposer sur la poitrine du Christ. Si le Christ est lumière pour nos yeux, vérité pour nos esprits, il est aussi appui et soulagement, apaisement et joie, force et enthousiasme pour nos cœurs inquiets, fragiles et vacillants… Lui seul a pu dire des paroles ineffables et tellement encourageantes comme celles-ci : « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et surchargés et moi je vous donnerai le repos… apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos pour vos âmes. » (Mt 11,28s). Pensons à l’Ami qui ne manque jamais, au Bon Pasteur qui porte sur ses épaules la brebis perdue, au Maître qui laisse le disciple aimé se reposer suavement sur sa poitrine… Soutenus par lui…
Au milieu des luttes et des contradictions, dans les incertitudes et les perplexités, nous comptons sur un appui solide et sûr… Avec l’Apôtre, nous pourrons dire en tout cas : « je sais en qui j’ai mis ma foi » (2Tm 1,12). Il a daigné nous considérer dignes de sa confiance (cf. 1Tm 1,12) et donc il compte avec notre pauvre vase d’argile pour porter ses trésors.
Le Maître ne nous a pas montré un chemin facile, il nous a introduits dans le sien, celui de la croix, celui de la persécution, celui des embarras et des échecs. Il en a été ainsi pour les apôtres, pour Saint Eugène et ses missionnaires. Il en est ainsi pour nous en notre monde matérialiste, allergique aux valeurs véritables, saturé d’égoïsme et de violence. Paul parlait des luttes du dehors et des craintes vécues au-dedans de sa personne (2Co 7,5). Les luttes et les craintes nous tournent autour et nous attaquent dangereusement et peuvent nous mener à la fatigue, au scepticisme, à la névrose ou a chercher le remède d’un activisme exténuant et stérile. La Mission, avec sa grandeur exigeante et ses dangers, avec son inévitable dureté, nous invite à nous réfugier en Christ, à compter avec sa présence réconfortante dans notre ministère (« je serai avec vous tous les jours. » Mt.28,20) et spécialement dans le banquet eucharistique. Là il nous répète : « C’est moi, ne craignez pas » Lc. 24,36) et « courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn. 16,33).
Notre Fondateur termine le portrait brûlant des hommes apostoliques avec lesquels il veut renouveler la société de son temps, avec cette phrase : « ensuite, pleins de confiance en Dieu, ils peuvent entrer dans la lice et combattre jusqu’à extinction… » (Préface)
Cette force qui est l’espérance chrétienne, nous devons la faire grandir et la raviver d’autant plus que, dans notre entourage, nous trouvons l’insatisfaction, le désenchantement, le scepticisme pratique et même la désespérance qui assombrit tous les horizons. Aujourd’hui, le missionnaire ne doit pas seulement rendre compte devant le monde de son espérance (1P3,15), il doit témoigner clairement des béatitudes évangéliques, ce qui n’est possible qu’en cultivant une amitié intime avec le Sauveur.
3.
Aimer avec le cœur du Christ. Le sommet de notre identification avec le Christ est atteint dans l’amour qui est le comble de la perfection comme Lui-même nous l’a enseigné. Notre « être avec le Christ » signifie avant tout « être avec en l’aimant » et « nous laisser aimer par Lui », cela signifie aussi sentir les battements rédempteurs de son Cœur et son désir d’ « allumer un feu sur la terre » et que ce feu brûle déjà (Lc 12,49), et de nous voir engagés avec Lui à la réalisation de son Règne qui est un règne d’Amour… Nous connaissons le manque d’amour dans lequel vit notre humanité à cause de l’égoïsme qui l’appauvrit et l’attriste profondément. C’est à partir de là que nous nous sentons appelés à être témoins de l’amour insondable du Christ, Messager et reflet du Père, Rédempteur et Bon Pasteur des hommes.
Etre avec le Christ suppose de notre part l’engagement quotidien de mettre par la prière et l’Eucharistie nos cœurs en contact avec le sien, au rythme du sien, comme prolongation vive du sien. Paul manifeste aux Philippiens que la tendresse du Christ ne lui permet pas de les oublier, car il les aime « dans les entrailles du Christ Jésus » (Ph.1,8), c’est-à-dire, avec le Cœur du Christ. Aux Corinthiens, il enseigne que : « l’amour du Christ nous étreint, à cette pensée qu’un seul est mort pour tous et donc que tous…vivent pour lui. » (2Co 5,14s). Aux Thessaloniciens, il leur signifie son amour d’apôtre, fait de zèle et d’audace, mais imprégné d’affection paternelle et même maternelle (1Th 2,1-12). Vatican II nous rappelle également comment Marie est le modèle de l’amour maternel que doivent montrer tous ceux qui travaillent dans l’apostolat. (LG 65).
Par ailleurs, Paul, profondément impressionné parce que c’est Christ qui vit en lui et qui l’a aimé jusqu’à se livrer pour lui (Ga 2,20) sent en lui une certitude inébranlable en la victoire définitive de cet amour, au milieu des difficultés qui l’entourent et il s’exclame triomphant : « qui nous séparera de l’amour du Christ ? la tribulation ? l’angoisse ? l’épée ?... en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Rm 8,35ss). Ici nous voyons comment culmine, en un merveilleux échange d’amour, notre être avec le Christ. Etre avec le Christ provoque un dynamisme bidirectionnel et simultané : de nous au Christ, dans un effort ascétique d’imitation et de suite ; du Christ à nous, dans une irradiation mystique par laquelle son Esprit nous configure et nous identifie à lui. L’Esprit de Jésus est celui qui répand l’amour de Dieu en nos cœurs de manière que nous puissions appeler Dieu notre Père, à partir de notre identification avec le Christ (Rm 5,5). Et Jésus lui-même demande au Père « que l’Amour dont Tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. » (Jn 17,26).
Ce n’est pas difficile de voir ce que cette triple immersion en Christ peut signifier en notre vie et en notre mission : regarder le monde avec les yeux du Christ et avec ses sentiments de compassion et de compréhension ; rencontrer en Christ le réconfort et la force pour surmonter les difficultés et les fatigues ; nous laisser envahir par l’amour du Christ afin d’être instruments efficaces de son Règne, et l’annoncer « avec la ferveur des saints »,comme le rappelle Paul VI (Evangelii Nuntiandi 80).
Ce n’est pas non plus difficile de percevoir les exigences de vie intérieure que cet idéal réclame de nous, qui est ce que la Constitution 2 nous demande : un échange constant et amical avec le Maître, le Sauveur et le Bon Pasteur de l’humanité, à travers une intense contemplation de ses mystères et une profonde expérience eucharistique.
C’est évident que cette union au Christ n’exclut ni ne minimise le recours aux moyens humains, techniques, sociaux, etc. puisqu’Il nous a enseigné par son incarnation à valoriser tout l’humain et à l’assumer pour la réalisation de son Règne. Mais tout l’humain doit être vivifié par la grâce divine.
Comme chrétiens, comme apôtres et comme Oblats, nous avons un moyen exceptionnel pour nous approcher de Jésus, être existentiellement avec Lui et nous immerger en son mystère : c’est la présence à Marie ; nous laisser accompagner par elle dans la contemplation amoureuse des actes et des paroles du Verbe incarné et compter sur son intercession maternelle pour pouvoir communiquer aux frères comment correspondre à l’annonce du Règne.
Conclusion: En nous invitant à nous convertir au Christ et à nous centrer de nouveau sur le Christ, le Chapitre de 2010 nous amène à renouveler et à renforcer l’enracinement de notre spiritualité missionnaire en Christ, suivant l’exemple que nous a légué notre Fondateur, et qui nous offre donc l’espérance de voir dans la famille oblate une nouvelle efflorescence de sainteté et d’apostolat missionnaire dans l’aujourd’hui du monde et de l’Eglise.
Asunción
11-10-09
[1] Nous nous limitons à la période de son Séminaire à Saint Sulpice de Paris. Nous nous inspirons exclusivement des écrits spirituels dans le volume 14.
[2] Cf. Ecrits spirituels, n° 14 ; 24. Prières, p. 33.
[3] Cf. Ecrits spirituels n° 14 ; 27. Lettre à Madame de Mazenod, le 29 juin 1808.
[4] Cf.
Ecrits spirituels, n° 14 ; texte n° 28, Résolutions prises pendant la retraite faite en entrant au séminaire les premiers jours d'octobre 1808.
[5] Ecrits spirituels, n° 14, lettre 68, à Madame de Mazenod, 14 avril 1810.
[6] Ecrits spirituels, n°14, 28. Résolutions prises pendant la retraite faite en entrant au séminaire les premiers jours d'octobre 1808 (entre 12 et 19 octobre 1808).
[7] Ecrits spirituels, n° 14, Lettre 45, à Madame de Mazenod, 13 février 1809.
[8] Ecrits spirituels, n° 14, Lettre 70, à Madame de Mazenod, le 10 juin 1810.
[9] Ecrits spirituels, n° 14, 28. Résolutions prises pendant la retraite faite en entrant au séminaire les premiers jours d'octobre 1808 (entre 12 et 19 octobre 1808).
[10] Ecrits spirituels, n° 14, Lettre 29, pour bonne maman grande, le 18 octobre 1808.
[11] Ibidem.
[12] Ecrits spirituels, n° 14, Lettre 37, à Madame de Mazenod, le 25 décembre 1808.
[13] Ecrits Spirituels, n° 14, lettre 46, à Madame de Mazenod, le 28 février 1809.
[14] Ecrits Spirituels, n° 14, lettre 51, à Madame de Boisgelin , mi-avril 1809.