Conversion
Un Cœur nouveau – un Esprit nouveau – une Mission nouvelle
La Commission pré-capitulaire a demandé à un certain nombre d’Oblats d’écrire une réflexion sur quelques aspects du thème choisi pour le 35
e Chapitre général. Dans les prochains mois, OMI Documentation publiera ces réflexions. On peut aussi les trouver sous le lien
Chapitre général de
www.omiworld.org ainsi que sous le lien
Documentation, sur la même page.
Ces textes se veulent utiles à la réflexion personnelle et commune des Oblats et de leurs Associés laïcs. Un Chapitre général n’est pas un événement qui n’engage que les capitulants élus et « ex officio ». Il engage tous ceux qui partagent le charisme de Saint Eugène de Mazenod.
Centrés sur la personne de Jésus-Christ, la source de notre mission, nous nous engageons à une conversion profonde et communautaire.
Conversion
P. Eugene King, O.M.I.
Vicaire Général
Introduction:La conversion, comme thème du prochain Chapitre de 2010, a émergé dans les discussions du Gouvernement central avec les Provinciaux, pendant l’Inter-chapitre de 2007, en Afrique du Sud. Je ne suis plus très sûr de mes souvenirs sur le déroulement de cette conversation, mais je me souviens d’une intervention inspirée du Provincial de Jaffna de l’époque, le P. Selvaratnam Saminathar, dans laquelle il insistait sur la nécessité d’inscrire une conversion personnelle profonde, parmi les ingrédients de quelque programme que ce soit, de toute démarche de renouveau personnel et communautaire que la Congrégation se déciderait à entreprendre.
Ceci sonnait juste aux oreilles des participants et à leur expérience, et donnait des mots à une intuition qui cherchait son expression. Il y a quelque chose de plus important qu’un tourbillon d’activités de renouveau. Parmi les présents, presque tous avaient derrière eux des années, voire des dizaines d’années, de travaux de restructuration, d’efforts de renouveau dans leurs églises locales, de recherches de guides ou de programmes qui pourraient stimuler l’enthousiasme et l’espoir, alors que beaucoup d’Unités de la Congrégation traversent comme une saison d’hiver, en ce temps de déclin numérique. Finalement, le thème a trouvé son expression dans une longue phrase, qui fait allusion aux éléments à considérer, dans la préparation du Chapitre. Il est formulé comme suit :
Centrés sur la personne de Jésus-Christ, la source de notre mission, nous nous engageons à une profonde conversion personnelle et communautaire.
Considéré dans ses éléments pris séparément, le thème semble un lieu commun. C’est évident qu’il devrait être chrétien, personnel, communautaire, profond, et la source de laquelle découle notre mission– une mission enracinée dans le baptême et le charisme oblat. Lieu commun, mais qui va au cœur du sujet.
Apprendre de l’Expérience :
On pourrait s’attendre à ce que les Oblats soient très familiers avec l’expérience de conversion ; qu’ils puissent même se dire experts en conversion. Nous trouvons en effet, dans la Préface de nos Constitutions et Règles, l’inspiration qui a poussé St Eugène à répondre à l’appel que l’Eglise adresse à ses ministres :
qu’ils s’efforcent de ramener par leurs paroles et par leurs exemples, la foi prête à s’éteindre dans le cœur d’un grand nombre de ses enfants. La stratégie de St Eugène était de rassembler et de former des compagnons, qu’il décrit ainsi :
en un mot, des hommes apostoliques, qui, après s’être pénétrés de la nécessité de se réformer soi-même, travaillassent de tout leur pouvoir à convertir les autres. Le mot « convertir » apparaît.
Dans la famille oblate, tout le monde n’est pas à l’aise avec le mot “convertir”. En divers contextes à travers le monde, certains Oblats ou leurs partenaires en mission trouvent le terme « convertir » tout à fait dangereux, sinon embarrassant ; et s’il n’est ni dangereux ni embarrassant, il est du moins inutile, et donc à proscrire.
Mon but n’est pas, dans cette réflexion, de lancer un débat sur le terme « convertir », sa pertinence, ou l’idée théologique sous-jacente, ce qui nous mènerait à un autre type de conversation, nécessaire certes, mais pour un autre moment. Mon intention est donc de me centrer sur l’expérience de la conversion chrétienne, en espérant que cela pourra aider quelques uns, dans la préparation du Chapitre et permettra au Chapitre de prendre les décisions qu’il doit prendre, sur le leadership, la gouvernance, la vie et la mission dans notre temps et notre monde.
Raconter l’histoire de la Conversion :
Je présuppose au départ que tout Oblat a fait une certaine expérience de conversion chrétienne. D’une façon ou d’une autre, une Eglise locale nous a accompagnés, à travers les sacrements d’initiation. Et je présume que notre attirance à participer à la vie et à la mission oblates s’enracine dans notre conversion chrétienne. De plus, je suppose que la conversion désigne un changement positif, observable par la personne elle-même ou par ses compagnons. Je préfère penser à la conversion, non seulement en termes moraux, mais comme attrait de la perle de grand prix, découverte du trésor sans prix, attente de l’aube, espérance qui fait les bonnes nouvelles !
Il est plus facile de discuter les doctrines qui définissent la conversion chrétienne, ou d’entrer dans la compréhension théologique de telles doctrines, que de mettre des mots sur l’expérience de conversion. Et cela, parce que, d’une part, nous avons été formés à discuter et à raisonner, plutôt qu’à échanger des expériences, et d’autre part, parce certaines cultures insistent sur la conversion, comme sur une affaire intime, qui ne regarde personne. Et pourtant, ne sommes-nous pas appelés à approfondir sans cesse la communion ?
Mais la raison la plus évidente et la plus fondamentale est notre difficulté à mettre des mots sur quelque expérience que ce soit. Nous devons faire appel aux forgeurs de mots de notre culture, aux histoires classiques de la culture humaine, qui transcendent les frontières. Nous trouverons de l’aide en reconnaissant notre propre expérience dans les mots, les œuvres des auteurs dramatiques, des poètes, des artistes, et des classiques - folkloriques ou autres -, de notre famille et de nos cultures locales. Pour moi, un classique est celui dont les expressions résistent au temps, et continuent à aider les gens à s’exprimer eux-mêmes ; aussi universellement utiles que Shakespeare ou particulières, comme ces traditions familiales, auxquelles nous nous référons dans les grands moments : naissances, décès et mariages, pour en citer quelques uns.
Des personnes à considérer:Dans les limites de cette courte réflexion, je veux indiquer quelques classiques qui peuvent aider à approfondir la conscience de notre expérience personnelle de conversion, et signaler ensuite une autre source qui montre combien commune/ordinaire est notre expérience chrétienne. Il est bon de savoir ce qui nous arrive. Beaucoup d’Oblats continuent à trouver dans les écrits de St Eugène, soit des éléments de leur propre expérience de conversion, soit une correspondance facile entre des éléments de l’histoire de St Eugène, et la vie des gens qu’ils rencontrent en mission. La Commission du Chapitre a rendu accessible un texte central des notes de retraite de 1814, qui révèle comment St Eugène vivait sa relation intime avec le Christ. (Cf. Saint Eugène de Mazenod.
Ecrits spirituels, 1812 - 1856, p. 81).
Comme plusieurs parmi nous, St Eugène était catholique dès le berceau, de souche catholique ancienne, catholique pratiquant selon les normes du temps, un jeune adulte totalement blasé et cynique, à cause de l’ironie de l’histoire. Arrivé à vingt ans, il se retrouve avec une famille brisée, sans grande fortune, et deux essais de mariage qui n’ont pas abouti. Et puis, un certain Vendredi Saint, devant l’image du Christ crucifié, un nouveau jour a lui, quand il s’est senti tellement aimé par Dieu, son sauveur. Quelque chose lui est vraiment arrivé. Il commençait à voir la réalité, avec des yeux nouveaux – les yeux de Dieu. Ce n’était qu’un début ; il lui faudra des années pour récolter les fruits de cette expérience embryonnaire de conversion. Les notes que nous avons et qui ont servi à une série d’instructions dans l’église de la Madeleine, en 1813, devraient nous accompagner dans la lecture de ses notes de retraite, où il parle de sa conversion. L’instruction de la Madeleine révèle combien son monde a changé, changement d’où est né son appel au sacerdoce, et finalement, le rassemblement de son équipe de compagnons, les premiers Missionnaires de Provence, les futurs Oblats. (Cf. Saint Eugène de Mazenod.
Ecrits spirituels, 1812-1856, p. 35ff.)
Il existe bien d’autres expériences classiques, de conversions adultes, plus renommées encore, comme celle de St Paul, de St Augustin et de Ste Thérèse d’Avila ; elles gardent une valeur permanente. Parmi les modernes, qui nous sont peut-être plus accessibles, citons C.S. Lewis (
Surpris par la Joie), Dag Hammarskjold (
Marquages), Thomas Merton (
La nuit privée d’étoiles). De tels ouvrages méritent attention et recueillement ; approchons-les comme s’il s’agissait de visiter les œuvres des grands artistes. D’autres cultures ont leurs propres classiques.
En lisant des récits de conversion, si l’on s’arrête uniquement au moment clé,- à condition qu’il y en ait un -, il est possible d’en finir avec l’idée fausse, selon laquelle l’expérience de conversion serait tout à fait privée, et ne regarderait personne d’autre que l’individu lui-même. En effet, la conversion représente un projet de toute une vie, qu’il a fallu nourrir, tout au long des diverses étapes de l’existence. Comme toute autre dimension de la vie, elle s’épanouit à l’intérieur d’une culture, d’une société, d’une communauté, dans le partage. Les êtres humains se développent et mûrissent en donnant et en recevant, au sein des familles, des communautés locales et de la société.
Rites communs de Conversion:L’Occident ou les anciennes églises latines ont, dans leur ensemble, oublié l’expérience commune de la conversion chrétienne. Le catéchuménat adulte et le rite d’initiation des adultes sont tombés en désuétude (les adultes étaient baptisés avec le rite des enfants). L’expérience de la première conversion, chez les adultes, était le plus souvent privatisée. Tout cela a changé avec Vatican II qui, parmi bien d’autres réformes, a restauré le catéchuménat des adultes (1972). La redécouverte du rite des adultes a été une surprise pour beaucoup. Loin de n’être que la reprise de quelque chose d’ésotérique, le rite restauré dans sa totalité a révélé la démarche, grandeur nature, de l’incorporation de nouveaux membres dans une communauté chrétienne et de leur accompagnement sur leur chemin de conversion. La découverte a révélé que le meilleur accompagnement se vivait dans une communauté chrétienne, sérieuse et consciente de sa propre conversion. Je vous renvoie donc aux expériences des paroisses qui vivent cette initiation des adultes, grandeur nature, pour en saisir la dynamique et les conditions les meilleures d’une conversion commune.
Ce n’est pas le lieu pour résumer le processus d’initiation, exposer sa dynamique, expliquer ses étapes et ses rites. Qu’il suffise de dire que le rite restauré a été bâti sur la riche expérience des premiers siècles de foi chrétienne, et, dans les siècles récents, sur la pratique missionnaire des jeunes églises. Un maillon de la démarche catéchuménale peut éclairer beaucoup la réflexion oblate sur la conversion personnelle et commune, à savoir : la place et le rôle de la parole de Dieu dans la Bible, proclamée, écoutée, mâchée et partagée dans la liturgie de la Parole.
Ceux que la communion chrétienne attire, sont initiés à la foi, en participant à la vie d’une communauté chrétienne active et sa façon d’utiliser la Parole de Dieu, lorsqu’elle se rassemble pour la Liturgie, le Jour du Seigneur. Que fait donc la communauté ? (Ce sera le seul aspect d’une conversion commune que je veux mettre en relief ici). Elle redit les récits bibliques dans son cœur et en tout ce qui constitue sa vie et son expérience actuelles, permettant à la grâce et à l’amour de Dieu de se manifester. L’homélie a pour but principal de montrer le lien entre le récit biblique et la vie. D’autres activités, telles la lectio divina, la méditation individuelle, les échanges en petits groupes, peuvent, elles aussi, prolonger l’homélie et expliciter ce lien entre la foi et la vie, le favoriser ou le compléter.
J’ai vécu cette dernière démarche pendant des années, avec des groupes paroissiaux, et j’ai été témoin des miracles que la Parole de Dieu opérait dans la vie de ces gens qui n’avaient jamais ouvert une Bible, qui n’avaient pas étudié des sujets bibliques, ne savaient pas si le roi David précédait ou suivait Moïse dans l’histoire, mais qui avaient soif de foi, des cœurs ouverts, et le bon sens capable d’écouter les autres. Que de fois je suis revenu évangélisé par de tels partages – parfois chez les riches, et parfois chez les pauvres. On se sent petit en entendant une personne dire que l’auteur du Psaume 139 devait avoir son expérience à elle à l’esprit quand il a écrit le Psaume ; et d’écouter ensuite son histoire.
Seigneur tu m’as scruté et tu me connais, tu connais mon coucher et mon lever. De loin, tu discernes mes projets. (Ps.139,2TOB). Je n’ai pas le monopole de l’expérience de Dieu!
De telles expériences m’ont conduit à la conviction que l’on n’insistera jamais assez sur l’importance du ministère de la Parole, dans le charisme oblat et la mission. Si autrefois ceci était étroitement associé aux prêtres et au ministère de la prédication (pour autant qu’elle ait été biblique), aujourd’hui, prêcher la parole appartient à la mission de tout chrétien, de chaque partenaire oblat en mission, de chaque Frère oblat, à partir de la singularité de son expérience personnelle et selon ses talents de communicateur.
Conclusion: La conversion c’est ce qui arrive quand la Parole de Dieu prend racine, même tout délicatement, dans le sol de notre expérience. Il n’est pas nécessaire de connaître le mot « conversion », de le comprendre, ou de l’utiliser. Offrir nos cœurs comme une terre ouverte à l’Esprit, porté par la parole, jeter au loin la semence, avec détachement, et laisser Dieu s’occuper de la croissance. St. Paul l’atteste en 1Co. 3,5-9 (J’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a donné la croissance, v.6)
En préparation au Chapitre, je ferai une recommandation et formulerai un rêve.
La recommandation. Que chacun revisite, par la lecture ou l’écoute le récit de sa conversion préférée ; ou même qu’il en revoie le film, le cas échéant. Qu’il le fasse non pas avec l’esprit critique d’un adversaire ou d’un savant, mais avec le regard plein d’attente, du cultivateur qui regarde son champ ou son jardin, après les avoir ensemencés. Noter les réactions ou les émotions qui reflètent sa propre expérience, et attendre que Dieu donne la croissance. Que dit Dieu aujourd’hui ?
Mon rêve est celui-ci. Que toutes les paroisses oblates dans le monde, et je dis bien : toutes, rétablissent le catéchuménat adulte, comme partie intégrale de leur mission. Que chaque paroisse oblate soit connue dans l’église locale (diocèse) pour sa pratique du catéchuménat. Que chaque paroisse oblate soit connue dans l’église locale pour ce que ses membres : laïcs, religieux et ordonnés font de la Parole de Dieu. Les Oblats connaissent ce qui arrive quand la parole de Dieu tombe dans la terre de l’expérience commune. Et quel est le secret oblat ? Le terrain des pauvres ne connaît aucun désavantage, quand le « partenaire commercial » est le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ.
Toutefois, aucun ministère ne nous est étranger, pourvu que nous ne perdions jamais de vue la fin principale de la Congrégation: l’évangélisation des plus abandonnés. R 7b.
Trois spiritualités de conversion:
biblique, oblate et hindoue
Swami Joseph A. Samarakone, OMI
Introduction
Le 35e Chapitre général, tout proche, se met à l’école du thème:
Conversion: Cœur nouveau, Esprit nouveau, Nouvelle Mission. Le présent document s’efforce de revisiter la conversion de notre Fondateur, St Eugène de Mazenod, et de relire son expérience de conversion, à la lumière des traditions biblique et indienne, afin de l’intérioriser. Dans la tradition biblique le mot qui frappe le plus est «
Metanoia » - changement du cœur, repentance (cf. Mt. 3,2 ; Mc. 1,4 ; Lc. 3,3). Dieu parle par le Prophète Ezéchiel et nous dit qu’il fera quatre choses pour réaliser une conversion totale :
“Je vous rassemblerai ….” Ce qui est la mission même de Jésus: “rassembler dans l’unité le peuple dispersé”. La dispersion a lieu en soi-même… d’où le besoin de rassembler – “Le Royaume de Dieu est en vous », proclamait Jésus. Au temps des hérésies et des schismes, dans l’Eglise primitive, pour distinguer entre le vrai et le faux évangélisateur, au nom de Jésus, il y avait un critère : le véritable Esprit suscite toujours «
l’Unité de cœur et d’esprit » entre «
les peuples de toutes langues et cultures » (Ac. 2.37-38 ; 44-45)
“Je répandrai sur vous une eau pure
J’enlèverai votre cœur de pierre ... et vous donnerai un cœur nouveau…. Un cœur de chair
“Je mettrai en vous un esprit nouveau, mon Esprit (en termes indiens:
Atman) (Ez. 36, 24-28)
Dieu affirme, par le Prophète Jérémie: “je ferai une
Nouvelle Alliance avec vous... Je mettrai ma loi en vous et l’écrirai sur vos cœurs ; je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple » (cf. Jr. 31,31-33). Un état de
parfaite liberté se réalise quand la
conscience d’une personne participe dans la
Conscience du Divin, en termes indiens
turiya, (le
quatrième état de la conscience) c’est-à-dire, quand la volonté propre devient identique à la volonté de Dieu, le croyant devient
totalement libre (cf. Jn. 8, 28-32). Le grand théologien Karl Rahner dit que lorsque la volonté de quelqu’un devient identique à la volonté de Dieu, il atteint la
Liberté parfaite.
Conversion de notre Fondateur – Sa grande expérience du Vendredi Saint
L’expérience du Vendredi Saint de notre Fondateur a complètement transformé sa vie. Il s’est détourné de tout ce qui s’opposait à la Volonté divine et s’est
tourné vers (=
con + vertere – conversion) Jésus et par Jésus, vers Dieu – le Mystère divin. En termes bibliques, Jésus s’est détourné de
Mammon, qui ne désigne pas seulement la richesse, mais tous les facteurs de désintégration et s’est tourné vers
ABBA – le Père – notre vrai centre – notre Maison (cf. Mt. 6,24).
En réfléchissant à la vie de notre Fondateur, on peut retracer les événements qui ont conduit à sa Conversion. Le jeune Eugène revient en France, après son exil à Palerme. Rapidement, on arrange un mariage avec une jeune femme riche. Nouveau virage dans la vie du jeune Eugène : sa fiancée meurt subitement ! Cet événement a complètement ruiné tout ce que le jeune Eugène avait planifié pour sa vie. La séquence des événements et très tragique : une longue période d’exil, passant d’une ville à l’autre, ce qui était en soi, très déstabilisant. Il revient à la maison avec le plan de rétablir et de restaurer l’honneur de sa famille. Et c’est à ce moment que sa fiancée meurt subitement – un événement qui brise le cœur, qui plonge le jeune Eugène dans une peine profonde, et une grande frustration.
On pourrait dire que c’était à ce moment (
kairos) que le Seigneur l’a cherché et l’a trouvé. Quand tout autour de lui n’était que ténèbres, soudain
la lumière est venue de Jésus crucifié sur la croix, en ce jour déterminant du Vendredi Saint: Eugène a un
darshan de Jésus. La parole
darshan/darshana, qui appartient à la tradition spirituelle indienne, décrit au mieux l’état d’Eugène à ce moment. Nous avons un exemple semblable dans notre tradition chrétienne : la conversion de St Paul… « Paul ne respirait que menaces et meurtres contre les disciples du Seigneur (Ac. 9,1)… » car il percevait les Chrétiens comme nuisant à la cause qu’il considérait comme la meilleure et la plus noble dans le monde, à savoir « la religion et la culture juives ». Saul a eu un
darshan du Seigneur ressuscité !
Darshan signifie que le fonctionnement des facultés physiques est temporairement suspendu et que la personne voit et entend avec ses
facultés intérieures. L’expérience est réelle, ce n’est pas une hallucination ; les autres autour ne voient et n’entendent rien.
[1] En anglais, nous utilisons me mot
‘vision’ ou ‘apparition. Dans la tradition tamoule Saivite, nous avons le mot
Thaduthadkolluthal, qui signifie qu’une personne est prise à son insu, ou plus littéralement, une personne est arrêtée dans sa course, et possédée totalement par le Divin, Dieu lui-même la guide et agit par elle, comme St Paul le dit, après sa rencontre du Seigneur ressuscité « ce n’est plus moi qui vis, mais Christ vit en moi. » (Gal. 2,20). Le résultat final, dans la tradition chrétienne comme dans la tradition Hindoue-Saivite, est exactement le même : une rencontre transformante avec le Divin. Un autre point à signaler c’est que la personne ainsi transformée n’a plus d’attirance si ce n’est pour
l’UN qu’elle a vu (les contemplata). Saint Paul dit : « Je considère tout (surtout sa religion et sa culture) comme rebut afin de gagner le Christ (cf. Ph.3,7-11 et surtout le v.8).
Rapidement après sa conversion, St Paul « n’a consulté personne… et part de suite vers l’Arabie (Ga.1,16-17) où il fait son «
expérience du désert » , pendant une longue période, avant de commencer son ministère actif. De la même manière, Jésus, tout de suite après son baptême, « a été conduit par l’Esprit dans le désert, 40 jours et 40 nuits… » (cf. Lc.4,1-13). « Ensuite Jésus, rempli de la puissance de l’Esprit, revint en Galilée » (Lc. 4,14)
Dans la tradition spirituelle indienne, nous avons beaucoup de sages qui vont dans la forêt, en silence total, ils allument le «
tapas » (le feu du sacrifice, dans leur cœur plutôt qu’à l’extérieur). Le prix Nobel Rabindranath Tagore dirait que ce passage d’une religion extérieure à une religion de l’intériorité - quand, pour des sages, la forêt devient leur cathédrale où ils rencontrent le Divin - représente un grand tournant, non seulement pour l’histoire de l’Inde, mais pour le monde entier. Quelques unes de nos Ecritures sacrées, comme les
Aranyakas (écrits de la forêt) et les
Upanishads, ou le
Brihadaranyaka Upanishad, sont nées dans la forêt. Le cœur des sages est devenu le dépositaire de la Parole de Dieu qui a été entendue (
Sruti) et des gens de toute condition de vie sont venus écouter la Parole de Dieu et ont été transformés.
Dans la vie du jeune Eugène, sa conversion, comme nous l’avons déjà signalé, est un événement fracassant, qui amène une rupture soudaine et totale avec le passé –détachement ferme et décidé de Mammon et attachement à
Abba. Ces deux oppositions sont irréconciliables et ne peuvent jamais être réconciliées dans la vie d’une personne qui a fait l’expérience de la grâce de la conversion dans la profondeur de son cœur. Après son expérience du Vendredi Saint, notre Fondateur exulte : « Je cherchais le bonheur en dehors de Dieu, et hors de lui, je n’ai trouvé qu’affliction et misère… Quelle occupation plus glorieuse que d’agir en tout et pour tout, seulement pour Dieu, de l’aimer par-dessus tout, de l’aimer d’autant plus que c’est bien tard que je me suis mis à l’aimer ». St Augustin eut, après sa conversion, une expérience semblable : «
Tard, je T’ai connu ! Nos cœurs sont faits pour Toi, Seigneur, et ils restent inquiets tant qu’ils ne reposent pas en Toi. » Pour comprendre la profondeur de la conversion du Fondateur, c’est important pour nous de réfléchir à la « Conversion de Jésus » qui est décrite dans les Synoptiques, comme la Tentation de Jésus.
La tentation de Jésus
Les Evangiles synoptiques (Mt. 4,1-11; Lc.4,1-13; Mc. 1,12-13) présentent Jésus comme « poussé par l’Esprit dans le désert pour y être tenté. » Les tentations ne sont que le combat de Jésus qui a duré tout au long de sa vie contre
Mammon. Les évangélistes rappellent cela, non seulement pour évoquer un événement passé. Le peuple messianique de l’Ancien Testament a été confronté avec une tentation semblable dans le désert et a perdu la confiance en Yahvé et s’est tourné vers le ‘veau d’or’ – véritable idolâtrie, « soupirant après les marmites de viande en Egypte ». Le nouveau peuple messianique du Nouveau Testament rencontre déjà de semblables tentations, et est averti de ne pas y succomber. Jésus est tenté « d’utiliser son pouvoir messianique et de faire que les pierres soient du pain ». Le nouveau Messie n’a pas succombé mais il a montré qu’il y a plus important que la nourriture : la « Parole venant de la bouche de Dieu qui peut nourrir nos faims et nos soifs les plus profondes » (cf. Mt.4,4). « La racine sanscrite
sru(entendre) de laquelle est dérivé
sruti (
Révélation) et
sravaka (disciple, écoutant la Parole) est un concept clé dans les religions Indiennes classiques.»
[2]. Karl Rahner dit que,
“l’écoute de la Parole “ est une partie constitutive de la révélation. Jésus n’a pas recherché sa “sécurité économique” dans les choses matérielles, mais a trouvé son ultime sécurité dans le Père.
Deuxièmement, Jésus est tenté de rechercher la reconnaissance du peuple comme Messie –
une personne, au centre de la scène. Jésus rejette cette tentation subtile et affirme la suprématie du Père : confiance dans le divin, « ne pas tenter Dieu.» Finalement Jésus est tenté de s’emparer du pouvoir. La réponse ferme et résolue de Jésus a été. « Arrière Satan! Adorez le Seigneur votre Dieu et Lui seul vous servirez. » Pierre a été remis en place, de la même manière, quand il a essayé de faire de Jésus le Roi Messie. (cf. Mc. 8,33). Chaque disciple de Jésus est certain de recevoir la même réprimande de sa part s’il essaie de prendre le pouvoir, « même si c’est pour la gloire de Dieu » ! Jésus a trouvé le
fondement ultime de son appartenance à Dieu, l’ABBA – Père.
Les psychologues, comme Abraham Maslow et d’autres parlent des personnes qui recherchent tout d’abord à satisfaire les besoins inférieurs –
liés à la survie, comme la nourriture, le vêtement, le toit, - et qui remontent lentement l’échelle, aspirant à
aimer et à être reconnus, pour arriver, finalement, au
pouvoir/domination. Voilà le chemin normal de l’accomplissement de soi, auquel tout le monde aspire. Mais il y a des gens intégrés, prêts à se sacrifier, comme Jésus, le Mahatma Gandhi, Nelson Mandela, Mère Teresa et d’autres, qui nous ont montré un autre chemin : ils
transcendent le «
moi » - leur ego inférieur, et s’en remettent à l’Autre/autres et trouvent leur accomplissement dans l’Autre ou les autres. Hegel disait : « l’essence d’une personne est de
s’abandonner à l’autre et de trouver son
accomplissement en l’autre. » Cf. l’appel de Jésus à ses disciples : ’si quelqu’un veut être mon disciple qu’il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive. Car qui veut sauver sa vie la perdra et qui perd sa vie pour moi, la trouvera. » (Mt.16.24-25). Jésus invite ses disciples à le
suivre et à se laisser transformer par son chemin de Croix.
Jésus lui-même a abandonné son ego inférieur au Père et a trouvé son accomplissement réel, précisément dans le Père : ‘
le Père et moi nous sommes UN’ (Jn. 10,30). En termes indiens, ceci est l’expérience advaïtique (non dualiste) du Fils et du Père. Swami Abhishiktananda, le moine bénédictin français, Dom Henri Le Saux, OSB, qui est venu en Inde et s’est plongé, tête la première, dans la tradition advaïtique dit : « c’est le mystère de
la non-dualité de Saccidananda, ou l’advaïta du Fils et du Père, dans la profondeur duquel il y a
Ananda – le bonheur de l’Esprit, et le mystère de
l’advaïta ou non dualité, est
la racine et le paradigme de tout ce qui est réel. »
[3] Jésus nous invite tous à faire la même expérience: “ en ces jours vous saurez que je suis dans le Père et que vous êtes en moi et moi en vous » (Jn.14,20). C’est la communion trinitaire à laquelle nous sommes tous invités, et que les Pères de l’Eglise appelaient la
theosis et les mystiques en ont parlé de différentes façons. St Jean de la Croix dit : « Ce que Dieu est par nature, nous le devenons par participation ». St Augustin, pendant les homélies du temps de Noël, dit à son peuple : ’
Deus homo factus est, ut homo fieret Deus’ – Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu.
Voilà le but final de la Conversion.
Dans le vocabulaire de St Ignace de Loyola, « l’abandon de sa propre richesse aux pauvres et la sujétion à la volonté de Dieu » apparaissent comme ‘ la pauvreté réelle’ et la ‘pauvreté spirituelle’ respectivement (Exercices, 98, 146, 147) « Si elle est prise dans le sens dynamique du combat spirituel… la pauvreté est de loin le terme le plus englobant pour décrire l’éthos de l’
événement Jésus… pour comprendre que c’est connaître Jésus ; que faire cela c’est le suivre.»
[4] La conversion vue à travers le prisme de la tradition de la spiritualité indienne
Composition de la Personne humaine
Une personne humaine se compose en même temps d’une réalité transitoire et d’une réalité éternelle. La réalité transitoire est appelée le
Pancha-Kosas, ou les cinq fourreaux ; la réalité éternelle est
Atman – l’inhabitation présente du Divin. L’Atman habite dans la cavité du cœur ou au centre, enveloppé par le
Pancha-Kosas. Ils sont appelés fourreaux ou kosas, parce qu’ils dissimulent efficacement la vraie nature de l’être humain qui est l’Atman. Le but de chaque être humain est de réaliser l’Atman – La
Réalisation de l’Atman. Dans le tableau ci-dessous, l’Atman est représenté par le symbole mystique
(prononcer OM) et le Triangle représentant la Trinité. Les cinq cercles concentriques autour des symboles, représentent les cinq couches de matière. Les cinq fourreaux ou
pancha-kosas sont :
1.Anna-maya kosa (le fourreau de la nourriture)
2. Prana-maya kosa (le fourreau de l’Air-Vital)
3. Mano-maya kosa (le fourreau mental)
4. Vignana-maya kosa (le fourreau intellectuel)
5. Ananda-maya kosa (le fourreau de la félicité)
Ces cinq kosas, pris ensemble sont appelés
Ahamkar (littéralement “
Moi-faiseur”) =
le faux sens de l’ego. Ils sont appelés
maya, c’est-à-dire qu’ils sont provisoires ou illusoires.
1. Le fourreau de la nourriture: C’est le corps physique. Les cinq organes de la perception et les cinq organes des actions en font partie. Il s’appelle fourreau de la nourriture parce qu’il est causé par la nourriture, maintenu par la nourriture et en définitive, termine comme nourriture.
2. Le fourreau de l’air vital: C’est le système énergétique d’une personne et il est quintuple: ce sont les cinq facultés fonctionnant à l’intérieur d’une personne. Elles correspondent aux cinq fonctions physiologiques. On les appelle les cinq
Pranas. Elles s’appellent ainsi parce qu’elles sont directement liées à l’air que l’on respire.
Il y a 72.000 Nadis (ou canneaux subtils) par lesquels les pranas coulent, apportant vie et vitalité à toutes les parties du corps. Le fourreau Air vital est plus subtil que le fourreau de la nourriture. Il le contrôle. Quand votre prana fonctionne bien, votre corps physique reste fort et en santé.
3. Le fourreau mental: C’est l’esprit. L’esprit consiste en passions et émotions, sentiments et pulsions. Il est plein d’envies et d’aversions. C’est la partie psychique de l’être humain. Le fourreau mental contrôle les fourreaux de l’air-vital et de la nourriture. Par exemple, quand l’esprit est dérangé, les fonctions physiologiques (pranas) et le corps physique sont affectés.
4. Le fourreau intellectuel: C’est l’intellect. Il fonctionne par la pensée, la réflexion, le raisonnement, le discernement, le jugement, etc. il analyse et distingue entre paires opposées. Il recherche et essaie de comprendre l’inconnu, de saisir de nouvelles idées, de trouver de nouvelles pensées. Il contrôle les trois fourreaux précédents.
L’esprit et l’intellect fonctionnent tellement à l’unisson, que ces deux fourreaux ensemble sont appelés le “complexe esprit-intellect”.
5. Le fourreau du bonheur: Ce fourreau du Bonheur ne devrait jamais être confondu avec le “Bonheur absolu” qui est le but final de la Réalisation-Atman ou “réalisation du soi.”. Quand une personne, pendant la Méditation, passe de cercles en cercles concentriques, d’un fourreau à l’autre, il apaise chacun de ces fourreaux, en particulier le corps, la respiration, l’esprit et l’intellect. Ceci produit une espèce de sentiment de “paix”. Parce que l’agitation fébrile, en particulier du complexe esprit-intellect, cesse, cette personne qui est dans le fourreau du bonheur, expérimente la « paix », une sorte de « bienheureuse ignorance ». Mais c’est maya – une paix illusoire. Il suffit qu’un stimulus externe, p.ex. qu’il entende le son de voix d’une personne qui lui est hostile, à qui il n’a réellement pas pardonné en profondeur, tout son être s’agite et cette personne se retrouve elle-même en « morceaux » ! Ces phénomènes qui causent de l’agitation s’appellent
vasanas et
vasanas résident dans cet
Anandamaya kosa ou fourreau du bonheur
[5].
Alors, que sont les Vasanas?
Les Vasanas sont les tendances innées ou inclinations causées par les actions passées ou les expériences et qui poussent le complexe esprit-intellect à fonctionner de la façon dont il fonctionne présentement. Ce sont les éléments non manifestes dans une personne mais qui sont responsables pour la conduite manifeste. Elles expliquent que nous disions que telle action passée n’est pas nécessairement de la personne elle-même. Elle pourrait être causée par d’autres, par ex. par une personne née d’un viol qui porte la violence en elle-même, et peut subitement commencer à agir de façon violente, comme de tirer sur les gens, sans discernement. Les Psychologues disent que ces vasanas pourraient remonter à 700 ou 800 ans. Les psychologues occidentaux comme Sigmund Freud, Carl Jung et d’autres, appellent ces phénomènes «
le subconscient collectif ou l’Inconscient ». C’est de cela que Paul parle dans Rm. 7, 14-25 : « je ne fais pas ce que je veux, mais je fais exactement ce que je déteste. Maintenant si je fais ce que je ne veux pas… ce n’est plus moi mais
le péché qui habite en moi…. » St Paul appelle
Vasanas «
le péché qui habite en moi ! »
Les psychologues occidentaux ont développé divers moyens pour guérir une personne des vasanas. Mais les sages de l’Est ont un instrument puissant, éprouvé par le temps, par lequel une personne peut être libérée des vasanas. D’où la place d’honneur donnée à «
Dhyanam » ou
Méditation dans les traditions spirituelles de l’Est, et surtout dans les traditions Hindoues/Bouddhistes.
Pendant la Méditation on va dans les cercles concentriques, et on franchit facilement les quatre fourreaux mais quand on en vient à cet Anandamaya kosa, on le trouve impossible à franchir. Comme le Seigneur Bouddaha dit : « c’est facile de passer d’un niveau à l’autre, mais quand on arrive au dernier niveau, on est face à un mur imprenable ! Mais il faut persévérer jusqu’à ce que le mur craque. » Vos efforts soutenus et la grâce inconditionnelle de Dieu se rencontrent et le mur craque, et le miracle de transformation/harmonie prend place. Toutes les « vasanas » (dans les mots de St Paul « le péché qui habite en moi ») simplement disparaissent et maintenant on entre dans la dernière étape du
Bonheur absolu ou de la Réalisation-Atman ou
Atmabodha –
réveil de l’Atman ou dans les mots de Jésus : «
Le Père et moi sommes Un » (Jn. 10,30).
Quand une personne traverse la vie, elle pourrait se trouver dans n’importe lequel des cinq fourreaux ou kosas. La personne se tient dans son faux centre de l’ego –un centre qui se désintègre – et peut se sentir assez heureuse. Quand le moment de grâce arrive, elle réalise qu’elle est dans son faux centre de l’ego. Alors elle se retourne vers
Abba et se détourne de
Mammon. C’est le moment de la
Conversion. La personne bouge sans cesse en direction du vrai Centre – Dieu ou Abba – et réalise le Divin, ou, dans nos termes indiens – elle atteint
Atmabodha. Ainsi le saint Pèlerinage de sa propre vie -
Tirtha Yatra – est le chemin de conversion de toute une vie, passant de
Ahamkar (ego) à Atmabodha. Une fois que la personne atteint ce stade, elle ne s’arrête pas là ; son «
troisième œil » (
Divyam Cakshuh ou
Œil Divin) est ouvert et elle voit tout et chacun par l’œil de Dieu, comme le disent nos Constitutions : «
nous voyons le monde à travers les yeux du Sauveur crucifié » (CCRR 4) et commence
à servir chacun sans aucune trace de recherche personnelle, avec une abnégation de soi totale. Elle est alors dotée de la « plus large vision de la Réalité » -
Vishva Rupa Darshana Yoga. C’est la
spiritualité intégrale. En Srimad Bhaavad Gita, le Bhagavan parle de l’état spirituel d’une telle personne et il dit : « elle voit l’
Atman (
le moi divin) dans le cœur de tous les êtres et voit tous les êtres dans l’
Atman… alors je ne le quitte jamais et lui ne me quitte pas non plus. Celui qui m’aime dans l’unicité de l’amour m’aime en tout ce qu’il voit, où que cette personne puisse vivre, en vérité cette personne vit en moi et elle est la plus grande
Yogi… quand le plaisir et la peine des autres deviennent son propre plaisir et sa propre peine » (6/29-32). Comme St Paul dit : « Ce n’est plus moi qui vis mais c’est le Christ qui vit en moi” (Ga. 2,20). En Résumé nous pourrions dire :
- Tous sont des personnes cassées, vivant avec diverses compulsions, venant de notre faux ego.
- C’est dans le “désert” que nous sommes guéris de nos brisures – de nos compulsions, et que nous sommes transformés. De là, le besoin pour tous, d’aller au
désert.
- C’est d’un moi transformé que découle un vrai ministère.
Vishva Rupa Darshanam - Une vision large de la Réalité
Herméneutique indienne
Il s’agit d’une forme classique d’interprétation des Ecritures : permettre au texte de l’Evangile – dans notre cas, le narratif des Tentations (Mt. 4, 1-11 et les parallèles) de se situer dans les courants libérateurs du pays et de s’asseoir au «
Sangamam » - le point de confluence, pour interpréter le texte et «
boire abondamment de la Parole de Dieu ainsi enrichie ».
Resituons maintenant le texte des Tentations de Jésus dans le cours des Pancha Kosas (les cinq fourreaux), avec le Divin au Centre:
Dans la première tentation , Jésus est confronté au niveau du « Corps-Prana » -
le besoin de nourriture, un besoin de base. La seconde est au niveau du complexe esprit-intellect –
le besoin de reconnaissance- et la troisième se situe à un niveau plus profond –
anandamaya kosa, contenant toutes
les vasanas, afin de saisir le pouvoir pour dominer sur les autres et devenir le Dirigeant Suprême – la tentation de Lucifer ! En toutes ces tentations, Jésus s’abandonne à son Père et trouve son « vrai moi » dans le Père. L’identité au niveau des « kosas » ou des « instincts basiques » est en opposition directe à l’identité que Jésus crée en relation à Son Père. L’Evangile de Matthieu décrit l’état d’union intime de Jésus avec le Père lorsque les «
anges sont venus le servir » (Mt. 4,11).
Maintenant Jésus avertit ses disciples: “Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive. » (Mt. 16,24). Ce n’est que dans l’
auto-transcendance que l’on découvre
son vrai Moi – Dieu. Gurudev Rabindranath Tagore dit: “C’est seulement lorsqu’une personne se libère de son
ahamkar – le sens de l’ego, qu’il entre dans son vrai héritage ». C’est à partir de son moi transformé que Jésus, « rempli par la puissance de l’Esprit » (Lc. 4,14), commence à proclamer le «
Royaume » - la parole unique qui résume tout le ministère de Jésus.
Dans l’Ecriture hindoue la plus populaire, le Srimad Bhagavad Gita, Arjunan, le disciple demande à Bhagavan Krishna: “Quelle est la puissance, Krishna, qui pousse l’homme à agir de façon peccamineuse, y compris involontairement, comme si c’était de façon impuissante?” (3,36), Paul pose aussi la même question. Bhagavan/Le Seigneur répond : « c’est le désir avide et la fureur, née des passions, le grand mal, somme de destruction : voilà l’ennemi de l’âme » (BG 3,37). Henry Nouwen arrive à la même conclusion dans son «
Spiritualité du Désert », citant Thomas Merton, il dit : «
l’avidité et la colère sont le frère et la sœur d’un faux moi (ego), fabriqué par les compulsions sociales d’un monde non racheté »
Ayant posé le diagnostique que
l’avidité et
la colère sont les grands ennemis de l’âme, Bhagavan/ Seigneur Krishna continue avec les pronostics : « … bien que le pouvoir des sens (dans le fourreau du Corps) soit grand, plus grand que les sens est l’Esprit. Plus grand que l’esprit est Buddhi, la raison ; et plus grand que la raison est Lui – l’Esprit (Atman) en l’homme et en tout.
Connais Le donc, celui qui est –dessus de la raison et que sa paix te donne paix » (BG 3,41-43). St Paul arrive à la même conclusion : « qui me libèrera de ce corps qui me livre à la mort ? Par le Christ, Dieu me libèrera » (Rm. 7, 24-25). Dans ce contexte «
connais le » est à prendre dans le sens biblique, comme une connaissance expérimentale du Divin, obtenue par la méditation ou la contemplation, qui amène une personne en son réel
chez-soi, comme Jésus le dit dans le symbole de la vigne et des branches : «
Demeurez en moi comme moi je demeure en vous. » (Jn. 15,4).
La Vision de notre Fondateur, St Eugène de Mazenod
Ayant fait l’expérience de la puissance du Divin, surgissant des profondeurs intérieures, au cours de sa
Conversion qui a ébranlé son âme, ce qui peut très bien s’appeler une «
expérience de désert », il était convaincu que telle était l’unique chemin pour devenir un personne complète – une personne totalement transformée, une personne « qui abandonne tout, pour devenir disciple de Jésus Christ » (CCRR 2). La «
Préface » que le fondateur lui-même a écrite, naît d’une
expérience de conversion. Son audace et son engagement total peuvent être mesurés à l’aune de l’expression «
Nil linquendum inausum… ». Rien d’étonnant que le Fondateur mette la dimension contemplative au cœur même de la vie d’un Oblat. Je me souviens encore quand j’étais novice, à l’âge de 17 ans, écoutant les Constitutions qui étaient lues au petit déjeuner, cette phrase m’avait frappé : « les Oblats devront passer six mois en
contemplation/méditation et six mois dans le ministère actif. » Il ne faudrait pas inverser l’ordre ! Car notre ministère actif doit être un débordement de notre expérience du Divin au cœur de notre cœur.
Le Pape Jean Paul II, d’heureuse mémoire, souligne cet impératif dans son encyclique «
Redemptoris Missio » : « …le missionnaire doit être une contemplatif en action… à moins que le missionnaire soit un contemplatif, il ne peut pas proclamer le Christ de façon crédible. C’est un témoin qui a expérimenté Dieu… » (RM 91). L’expérience du Seigneur donc est au cœur de notre mission. La contemplation elle-même est une partie intégrante de notre mission. St Thomas d’Aquin parlant de notre apostolat, dit : «
Apostolatus est contemplare et aliis tradere » « Contempler le Divin et communiquer aux autres cette expérience du Divin. » Une lecture réfléchie du Nouveau Testament, particulièrement des Lettres de Paul, manifeste que le mot «
Apôtre » est appliqué à une personne qui a
fait l’expérience du Seigneur Ressuscité. L’Apôtre communique son expérience aux autres et une nouvelle communauté d’Eglise naît, avec l’Apôtre, comme noyau de la communauté.
St Ignace de Loyola a fait une belle synthèse entre la Contemplation et l’Action. « Il a soumis tant la prière que l’action au test acide de l’authenticité, c’est-à-dire l’
abnégation de soi, qui est la preuve positive de l’amour authentique… Toute spiritualité véritable découle de l’esprit du Christ
crucifié (et exalté)… Recherchez Dieu dans la totale
abnégation de soi et vous toucherez les profondeurs de l’être humain, les vôtres et celles de autres. Parallèlement, engagez vous à la libération humaine
sans aucune recherche de vous-mêmes, et vous avez déjà expérimenté Dieu. Sans abnégation de soi, tant la prière que l’action sont illusoires, avec une introversion, centrée sur soi, paradant comme
intériorité, et une extroversion agitée, paradant comme
engagement politique.”
[6] St Paul voit l’action exprimant son amour pour son voisin comme le condensé et la substance de l’unique commandement de Dieu (cf Gal 5:14)
[7]. Il est possible de dépasser la dichotomie entre contemplation et action ou entre Foi et Justice en missiologie, comme l’exprime le jargon théologique moderne qui parle du
moine sur la place du marché. Ce n’est pas étonnant dès lors que notre Fondateur ait pris pour notre Congrégation la devise même du Christ : « Il m’a envoyé proclamer
la Bonne Nouvelle aux
pauvres » (Lc.4,18-19). Ce fut le cri de ralliement de notre Congrégation ; au cours du temps, les Oblats ont été liés aux pauvres, travaillant auprès «
des pauvres, aux multiples visages » (CCRR 5). Pour être avec les pauvres concrètement, notre Fondateur voulait que ses fils soient transformés en Dieu, qui s’est manifesté lui-même en Jésus, comme le pacte entre Lui et les pauvres. Notre Fondateur écrit à ses premiers disciples « Si j’avais voulu des intellectuels et de prédicateurs éloquents, je les aurais cherchés ailleurs, peut-être dans les Universités. Mais je voulais que vous soyez tout d’abord des
Saints – des hommes remplis de Sainteté’ Comme les Ecritures hindoues le répètent : «
Qui voit Dieu devient Dieu ». Un très bon exemple de ceci nous est donné par St Antoine du Désert. Il est allé au désert, à quatre vingt ans ; après dix ans de combats intenses dans le désert, en silence, il est revenu vers son peuple, plein de santé dans son corps, son esprit et son intelligence, comme son biographe, St Athanase le dit. Les gens sont venus en masse vers lui, parce qu’en lui, ils ont vu
l’irradiation du Divin ; il était devenu pour eux le sacrement du Seigneur Ressuscité. Il les a accueillis dans le désert de son cœur et les a tous guéris.
Conclusion
Jésus a eu une
Atmabodha- Expérienced’Abba unique. Ce thème court à travers tout l’Evangile de Jean : « Le Père et moi sommes
Un » (10,30). Il nous invite maintenant à faire la même expérience :
il est le Chemin. Il utilise de beaux symboles (tous des symboles féminins) pour nous expliquer son
Expérience d’Abba, par ex. le symbole de la vigne et des branches. Le Père est la
racine invisible : le Fils émerge de la racine comme le
cep ; et le Saint Esprit est la
sève qui coule des racines dans le cep et dans les branches. Nous sommes invités à demeurer sur le cep comme sarments, participant pleinement de la vie même du Divin. Il n’y a pas deux branches qui soient identiques ; ce sont les branches qui portent du fruit. L’ensemble de la plante est prise comme un tout et s’appelle
Une plante. Voilà l’expérience
advaïtique (sans dualité) de notre vie dans la
Communion Trinitaire. Jésus considère ceci comme «
l’unique nécessaire » (Lc. 10,38-42) qui seul va nous rendre capables de «
nous laver les pieds, les uns les autres » (Jn.13,12-15). Ainsi la spiritualité chrétienne est la participation contemplative dans l’unique
Atmabodha ou la
Conscience d’Abba de Jésus.
Le Katha Upanishad dit: “Dieu ne peut pas être enseigné par quelqu’un qui ne l’a pas atteint ; et il ne peut pas être atteint par beaucoup de réflexion. Le chemin vers lui est à travers un
Gourou (un enseignant)
qui l’a vu. Il est plus haut que les plus hautes pensées, en vérité, au-dessus de toute pensée » (II,8). Dans la tradition chrétienne, l’Evangile de Jean affirme «
Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est proche du cœur de Dieu, lui l’a fait connaître » (Jn.1,18)
La Famille oblate, depuis ses tout premiers débuts, a gardé comme un trésor, la Préface de notre Fondateur, Patrimoine sans prix, que notre Fondateur nous a légué. « C’est dans la Préface que notre Fondateur s’est investi lui-même et a exprimé au mieux le Charisme, pour le transmettre à ses successeurs.
[8] J’ajouterais sans hésiter que c’était avant tout,
son expérience de Conversion qu’il voulait transmettre à chaque Missionnaire oblat, dans l’espoir que lui, à son tour,
fasse l’expérience de conversion, dans ses profondeus et la vive en plénitude.
Swami Joseph A. Samarakone, OMIAanmodaya Ashram
De Mazenod Nagar
Enathur, Kancheepuram – 631 561 – Tamil Nadu – INDIA
Email:
asamarakoneomi@yahoo.co.in
27 décembre 2009, Fête de la Sainte Famille
[1] cf Actes.9.7: “les hommes …
entendaient la voix mais ne voyaient personne … Actes. 22.9: “mes compagnons voyaient la lumière mais n’entendaient pas la voix”. Les deux versets sont écrits par le même Luc, ’incorrigiblement systématique’, en termes contradictoires. Idem avec les apparitions de la resurrection. Le Seigneur Ressuscité ne tombe pas sous les sens; le Seigneur est vu, entendu et touché par les facultés intérieures de ceux qui reçoivent le
dharshan.
[2] cf Aloysius Pieris, SJ,
God’s Reign for God’s Poor, Kelaniya, Sri Lanka, 1998, 16, note 17
[3] Felix Wilfred,
Beyond Settled foundations, University of Madras, Madras 1993, 56
[4] Aloysius Pieris, S.J.,
An Asian Theology of Liberation, Claretian Publications, Quezon City, Philippines, 1988, 16
[5] A. Parthasarathy,
Vedanta Treaties, Bombay, 1989, 141-144
; Sr. Corona Mary, OSM,
Towards God-Consciousness, Jegamatha Ashram, Thirucharapalli, 1990, 6-12
[6] cf Aloysius Pieris, S.J.,
An Asian Theology of Liberation, op. cit., 8-9
[7] cf Aloysius Pieris, SJ,
God’s Reign for God’s Poor, op. cit., 17
[8] cfr Fabio Ciardi, OMI, (ed),
Dictionary of Oblate Values, Rome, 2000, “
Daring”, 217
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